Drépanocytose : tout savoir sur sa prise en charge - Interview du Dr Chantalat-Auger Marzano

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Interview du Dr Christelle Chantalat-Auger Marzano, médecin interniste, référente pour les adultes pour les syndromes drépanocytaires majeurs (SDM) et des pathologies du globule rouge rare, Groupe hospitalier Universitaire AP-HP Université Paris-Saclay (site Bicêtre), Centre national de référence, site constitutif de la filière Maladies Constitutionnelle rares du Globule Rouge et de l’Erythropoïèse (MCGRE).

Analyse de sang humain en laboratoire

Définition : drépanocytose ou anémie falciforme ou de Sicklanémie

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La journée mondiale de lutte contre la drépanocytose aura lieu le 19 juin 2022. Le Président Emmanuel Macron a promis un plan drépanocytose dans le cadre de son nouveau mandat sans pour autant se prononcer sur la généralisation du dépistage néonatal de cette maladie en France.

La drépanocytose est la maladie génétique la plus répandue en France et dans le monde. Cependant, elle reste référencée dans les pathologies rares. Cette pathologie (hémoglobinopathie) est une maladie génétique monogénique, de transmission autosomique récessive, sévère le plus souvent létale dans les pays en voie de développement.

Également connue sous le nom d’anémie falciforme ou de Sicklanémie, c’est une affection héréditaire de l’hémoglobine, de transmission génétique autosomique récessive (impliquant la transmission d’un gène muté par chaque parent).

Concernant les données épidémiologiques, la drépanocytose reste méconnue alors qu’elle est devenue la première maladie génétique en France (environ 450 naissances par en France, dont 50 % en région parisienne), devant la Mucoviscidose, et de ce fait un enjeu de santé publique. Elle est aussi la première maladie génétique mondiale avec plus de 300 000 naissances par an et environ 5 millions de personnes atteintes selon l’Organisation Mondiale de Santé (OMS). Et sa prévalence ne cesse d’augmenter.

En France, elle est reconnue depuis 2004 comme l’une des priorités de la loi de Santé Publique (Loi n° 2004-806 du 9 août 2004) avec pour objectifs : l’amélioration de la prise en charge de la qualité de vie et la réduction de la mortalité. En 2005 a été créé le centre de référence des syndromes drépanocytaires majeurs (SDM).

D’un point de vue médical, il est plus opportun de parler de syndromes drépanocytaires majeurs que de drépanocytose. La forme homozygote SS est la plus fréquente (70 %). Cependant d’autres formes existent : Les formes hétérozygotes composites S/C, S/B°thalassémie,S/b+Thalassémie. Et plus rarement, les formes hétérozygotes composites S/DPunjab, S/OArab, S/Antilles,….

Qui est touché par la drépanocytose ?

La drépanocytose est une pathologie chronique qui s’exprime quasiment dès la naissance (diagnostic prénatal à partir d'un prélèvement placentaire, ou du liquide amniotique), dès l’âge de 3 à 6 mois (après le remplacement d’hémoglobine fœtale (HbF) par l’hémoglobine S (HbS).

L’expression clinique phénotypique est polymorphe, extrêmement variable selon l’âge, d’un individu à l’autre et pour un même individu au cours de sa vie. Elle dépend de facteurs environnementaux et génétiques (génotypes du syndrome drépanocytaire majeur (SDM), le polymorphisme lié aux haplotypes : Bantou, Bénin et Cameroun, associés à une plus grande sévérité de la maladie, ou de la présence au contraire d’un trait alpha thalassémique, de la persistance de synthèse de l’HbF facteurs plutôt atténuateurs, etc). Cependant, elle reste une pathologie grave, systémique, pouvant atteindre tous les organes.

La vie des patients drépanocytaires est jalonnée de complications aiguës et chroniques qui menacent le pronostic vital et/ou fonctionnel à tout instant de vie, telle une épée de Damoclès quasi-omniprésente.

Quel regard sur la drépanocytose ?

En Afrique (République Démocratique du Congo, Mali, etc.), elle reste la pathologie de la honte, de l’oubli, de la malédiction, très longtemps masquée par les épidémies, la malnutrition, les guerres,….

Elle est nommée par différents symptômes : notamment la douleur qui est le symptôme prédominant : « Kulu kulu » (mal des os en langue fon), « Koloci » en langue bambara (kolo=os et ci =douleur intense au Mali) ou son équivalent en langue malinke : « Kolomaci » (j’ai mal dans mes os : mes os éclatent, en malinke), ou par une circonstance déclenchante (maladie du vent, du froid qui broie), ou encore par la survenue d’un évènement « la maladie du tout à coup » (les individus qui s’arrêtent de vivre tout d’un coup en raison de la survenue de la douleur), ou par des croyances ou préjugés « la maladie des femmes maudites », la mère était tenue responsable de la maladie considérée à tort comme « la femme reproductrice celle qui transmet le gène de la malédiction » malgré sa transmission par les deux parents.

La drépanocytose a longtemps été négligée par les pays en voie de développement (notamment le continent Africain).

Également touchés par la maladie, les DOM/TOM ont été frappés aussi par l’aspect létal, incurable, et héréditaire et l’absence de ressources thérapeutiques et préventives.

Les pays développés et industrialisés ont fait les mêmes constats d’impuissance thérapeutiques, dans un contexte de discrimination raciale, en raison de l’origine de la population drépanocytaire.

La pathologie est aujourd’hui sur le devant de la scène médicale et scientifique.

La péninsule Arabique de l’Asie à l’Afrique est supposée être le berceau à l’origine de la mutation drépanocytaire. Il y a plus de 70000 à 150 000 années. Puis au cours de l’évolution de l’homme, la mutation, cause de la maladie, s’est répandue sur le globe via l’esclavage (qui a exporté très tôt la mutation vers le Moyen-Orient, le Maghreb, les Antilles, le continent américain,…) et plus récemment par les flux migratoires, et le métissage.

Comment est diagnostiquée la drépanocytose ?

Elle est dépistée par l’étude de l’électrophorèse de l’hémoglobine. Plusieurs techniques sont possibles : chromatographie en phase liquide à haute performance, isofocalisation électrique,…. Il est ensuite possible et souhaitable de procéder à un test de biologie moléculaire pour déterminer le génotype (mutation et déterminations des haplotypes : variabilité phénotypique gradient de gravité clinique et étude des migrations) du syndrome drépanocytaire majeur (SDM).

Un dépistage à la naissance est systématique, à la 72ème heure, réalisé au moment le test de Guthrie depuis 1985 dans les pays d’Outre-Mer et ciblé depuis 2000, pour des raisons économiques, en Métropole auprès des nouveaux-nés issus de parents originaires de régions géographiques à risque (Afrique subsaharienne, Maghreb, DOM-TOM, Inde, sud de l’Europe (Italie, Sicile), Grèce, Turquie, Amérique du Sud, Moyen-Orient) ou ayant des antécédents de SDM dans la famille. Alors, que le test est systématique aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Du point de vue des spécialistes les « drépanocytologues », la conséquence de ce dépistage ciblé peut être désastreuse et est inappropriée, car aujourd’hui la drépanocytose n’est plus l’apanage de certaines origines ethniques. Au fil des années, des migrations, des métissages, elle s’est mondialisée avec la dissémination des gènes.

Eu égard à sa gravité, en l’absence de traitement curateur facilement accessible, un dépistage prénatal est préconisé et proposé aux parents, avec la possibilité d’une interruption médicale de grossesse au cas où le futur enfant est atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur. Le diagnostic préimplantatoire, proposé aux couples à risque de transmettre à leur enfant une maladie génétique d’une particulière gravité et incurable, peut l’être pour ceux à risque d’avoir un enfant drépanocytaire.

Quels sont les traitements de cette maladie ?

L’arsenal thérapeutique dans la drépanocytose est pauvre.

La prise en charge médicale repose sur la prévention/traitement des complications aiguës et la détection précoce des complications chroniques. Les traitements actuels s’avèrent majoritairement préventifs ayant pour objectif de limiter l’apparition des complications aiguës et chroniques et de traiter la douleur.

Les mesures de prévention, avec le respect des règles hygiéno-diététiques et l’éducation thérapeutique se sont vraiment inscrites dans le cadre de la prise en charge de la drépanocytose avec la création du Réseau Francilien de Soins des Enfants Drépanocytaires (ROFSED) en 2005 et de "Et Vivre Adulte avec la Drépanocytose" (EVAD) en 2013. L’éducation thérapeutique permet aux patients de mieux connaître leur maladie, de tisser un lien particulier avec les soignants, et de constituer une alliance thérapeutique pour une meilleure prise en charge de la maladie.

Les traitements de la douleur comportent les antalgiques (analgésiques périphériques, centraux, et locaux), la kinésithérapie (les massages, les mobilisations), la neurostimulation électrique transcutanée, et de plus en plus des thérapeutiques non médicamenteuses : les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) comme l’hypnose,….

Les traitements de fond se résument principalement à deux : les transfusions (transfusion simple, échange manuel, érythraphérèse), l’hydroxycarbamide (molécule orpheline dans la maladie), et les saignées (lors d’hyperviscosités lorsque le taux d’hémoglobine est supérieur à 11 grammes/dl) notamment dans des syndromes drépanocytaires majeurs (SDM), S/C et S/b+Thalassémie.

Le traitement relève du génotype de la drépanocytose, de la sévérité clinique, des complications, des particularités liées aux patients (conditions personnelles, familiales, environnementales), de leurs choix, des croyances,....

La recherche avance-t-elle pour soigner la drépanocytose ?

L’hydroxycarbamide, molécule orpheline dont la première utilisation date de 1984, constitue encore à ce jour la seule molécule efficace permettant de réduire la survenue des crises et de ralentir la survenue de complications chroniques.

Actuellement, la recherche progresse, reflétant l’augmentation constante de la maladie en France et dans le monde, et des coûts médico-sociaux engendrés tout au long de la vie des patients avec l’apparition de nouveaux traitements.

En effet, de nouvelles molécules innovantes qui sont soit réductrices de la polymérisation de l’Hbs (voxelotor), anti-oxydantes (L-glutamine), inhibitrices de l’adhérence endothéliale (le crizanlizumab, l’anticorps monoclonal inhibant la P-sélectine) ou de la thérapie génique avec induction de la synthèse de l’HbF.

Une nouvelle ère commence qui pourrait changer la vie des patients avec des traitements curateurs comme l’allogreffe de moelle (greffe de moelle osseuse) et la thérapie génique mais demeurent rares, réalisés de manière encore exceptionnelle compte tenu des contraintes liées aux protocoles, aux coûts et à sa faisabilité uniquement dans les pays développés avec des systèmes de santé prenant en charge le remboursement pour les patients.

Quelles sont les conséquences de la drépanocytose ?

La vie des patients drépanocytaires est rythmée par la survenue de complications aiguës notamment les crises vasoocclusives et des complications chroniques pouvant engager le pronostic fonctionnel et vital à court ou plus ou moins long terme.

Quels sont les symptômes de la drépanocytose ?

Les symptômes sont très variables et souvent imprévisibles. Ils dépendent non seulement des périodes de vie, mais aussi du génotype de la drépanocytose. La douleur est l’emblème de cette maladie.

Cette pathologie chronique invalidante est responsable d’anxiété, de dépression, de troubles du sommeil et impacte la qualité de vie de façon majeure.

Quelle est la physiopathologie de la drépanocytose ?

L’hémoglobine A physiologique (constituée des chaînes alpha et bêta) est la protéine principale des globules rouges assurant le transport de l’oxygène vers les tissus. La drépanocytose est caractérisée par la présence dans le sang de l’HbS (suite à une mutation apparue sur le chromosome 11 du gène de la chaine bêta globine, aboutissant à la substitution d’un acide glutamique par une valine au niveau du 6ème codon) entraînant une modification spatiale de l’Hb mutée drépanocytaire appelée HbS (en raison du nom anglais : sickle cell disease). Dès les années 60-70, un schéma physiopathologique au niveau moléculaire se profile. Cette HbS, en cas de désaturation en oxygène et favorisée par certaines circonstances (les infections, la déshydratation, l’acidose, le changement de température, le stress, l’effort, la fièvre, etc.), se polymérise déformant le globule rouge en faucille.

Ces hématies falciformées (drépanocytes) devenant alors rigides, peu déformables appelés drépanocytes sont responsables du ralentissement circulatoire, de l’hyperviscosité, des phénomènes de vaso-occlusions et aussi de la fragilité des hématies conduisant à l’hémolyse. Ces anomalies de la rhéologie sont très variables selon le génotype du syndrome drépanocytaire majeur (SDM) et déterminent le polymorphisme de l’expression clinique.

D’autres facteurs interviennent dans la physiopathologie : l’augmentation de l’adhérence des globules rouges et des cellules du sang à l’endothélium qui est activé, la vasoconstriction liée à la diminution du monoxyde d’azote (NO) consommé par l’hémolyse.

La vaso-occlusion se produit de façon privilégiée dans la microcirculation post-capillaire. Elle est responsable d’une ischémie-reperfusion localisée des tissus en aval, dépendante de la présence de globules rouges de déformabilité diminuée ou nulle.

L’hémolyse liée à la destruction accélérée des globules rouges est permanente. La durée de vie moyenne des hématies est estimée autour de 10-15 jours au lieu de 120 jours. L’hémolyse concerne environ 10% de la masse érythrocytaire par jour chez les SDM SS et S/beta thal 0 et est beaucoup moindre chez les SC et S/betathalassémie +.

Quelles sont les complications de la drépanocytose ?

Les complications aiguës comportent essentiellement les crises vaso-occlusives, le syndrome thoracique aigu, les infections.

Les crises vaso-occlusives (CVO), première cause d’hospitalisation rythment la vie des individus, prégnantes pathognomoniques de cette maladie, touchant tous les tissus et notamment le système ostéo-articulaire. Elles se caractérisent par l’irruption du symptôme douloureux, le symptôme identitaire de cette pathologie. Cette douleur est paroxystique ineffable, effroyable déstructurant, dissociative, envahissant le psychisme et meurtrissant les organes. Les crises qui sont très souvent associées à un sentiment imminent de mort.

Bien que présentes déjà chez le nourrisson, ces crises représentent un signe des plus complexes à appréhender au regard de la violence, qu’elles réfractent le corps, en raison de leur imprévisibilité avec laquelle elles le soumettent et de la variabilité du temps pendant lequel elles se déroulent (de quelques heures à quelques semaines parfois).

Les causalités de ces crises sont plurielles. Parmi les causes déclenchantes, figurent les variations de température, de pression atmosphérique, les situations de déshydratation (efforts physiques, fièvre, chaleur) et des causes psychogènes telles que les ressentis de stress, d’anxiété,….

Le syndrome thoracique aigu, première cause de mortalité chez l’adulte, favorisé par l’hypoventilation alvéolaire, engage le pronostic vital.

Les infections, parfois fulminantes : première cause de mortalité chez l’enfant. La plupart liée aux bactéries encapsulées (pneumocoques, méningocoque), mais aussi les Salmonelles (gastro-entérite,...), etc.

Les autres principales complications aiguës sont l’anémie, le priapisme, la pathologie biliaire, les séquestrations splénique et hépatique, l’accident vasculaire cérébral (AVC) qui peut être massif d’emblée (concernant les SS- Sbetathal 0 et survenant avant l’âge de 10 ans), les accidents ORL (surdité brusque) et ophtalmologiques (cécité brutale), l’hémolyse post transfusionnelle.

Quant aux complications chroniques, elles comportent essentiellement :

  • l’anémie chronique responsable de l’asthénie et de la dyspnée ;
  • les complications d’organes : ostéo-articulaires, cardiaques, pulmonaires, hépatiques, neurologiques, ORL, ophtalmologiques, et cutanés avec les ulcères des membres inférieurs ;
  • l’hémochromatose post transfusionnelle ;
  • le retentissement psychologique du fait de l’absence de projection dans la vie "perso-socio-professionnelle" avec la sensation que tout ce qui est entrepris est un coup d’épée dans l’eau, et responsable de syndromes anxio-dépressifs principalement, et également de psychoses,... ;
  • la douleur chronique : en raison de la répétition de la douleur aiguë (CVO) qui s’ancre dans la chronicité de l’individu et de complications chroniques douloureuses comme l’ostéonécrose, l’ulcère des membres inférieurs ;
  • « la Crise identitaire » : la drépanocytose suggère des identités, des cultures, et des langages pluriels. Les patients drépanocytaires provenant de la migration sont porteurs de la maladie, mais aussi d’une histoire migratoire. Comme le relate, Agnès Lainé, les patients proviennent de communautés culturelles, linguistiques différentes, issues notamment des anciennes colonies. Ils sont souvent tiraillés entre les connaissances et les valeurs occidentales et les valeurs culturelles de leur pays d’origine.

Il est donc essentiel que les soignants s’inscrivent dans une dynamique ou un langage commun qui devra se co-construire, pour une meilleure prise en charge et compréhension des patients, ainsi qu’une adaptation des soignants. D’autant que les atteintes organiques sont de plus en fréquentes compte tenu de la population drépanocytaire vieillissante.

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Quelles sont les douleurs de la drépanocytose ?

Cette pathologie s’exprime dès les premiers mois de la vie, avec comme symptôme principal celui de la douleur :

  • la douleur aiguë de la crise vaso-occlusive paroxystique hyperalgique pathognomonique, omniprésente dans la maladie, imprévisible faisant irruption et précipitant les patients dans une angoisse de mort, et dans le risque létal de leur maladie ;
  • la douleur chronique qui peut être omniprésente et en rapport avec des lésions d’ostéonécrose, des ulcères, etc.

Cette « maladie de la douleur dans la douleur » ou « chronique de la douleur annoncée » entraîne des répercussions majeures sur la qualité de vie personnelle, sociale, professionnelle avec un impact psychologique non négligeable chez les patients.

La douleur se révèle extrêmement envahissante, invasive, à forte potentialité traumatogène se dévoilant telle une menace. Il est ainsi possible de se figurer le retentissement psychologique qui lui est inhérent et la répercussion sur la qualité de vie des patients.

Comment calmer une crise vaso-occlusive drépanocytaire ?

La crise vaso-occlusive drépanocytaire est la complication principale de cette pathologie qui nécessite une antalgie muti-modale, associant souvent des analgésiques périphériques et centraux, plus au moins locaux allant jusqu’aux morphiniques.

Cette prise en charge peut s’accompagner de thérapies cognitivo-comportementales (TCC) comme l’hypnose.

Pourquoi le syndrome drépanocytaire provoque-t-il des ulcères ?

L’ulcère est une perte de substance, plus ou moins profonde d’évolution chronique, (de plus de 4 à 6 semaines), sans tendance spontanée à la cicatrisation.

Dans la drépanocytose, les ulcères surviennent entre l’âge de 10 à 50 ans. Ils sont plus fréquents chez l’homme que chez la femme et concernent essentiellement la forme homozygote SS.

Leur prévalence est variable, selon la zone géographique originaire des patients (nulle en Arabie saoudite, 40 à 75 % en Jamaïque, 1,5 à 13,5% en Afrique).

L’âge de la population, les facteurs génétiques, les facteurs environnementaux et sociaux, les biais de sélection peuvent expliquer cette disparité des données épidémiologiques. Ces ulcères sont d’origine micro-vasculaires. Ils résulteraient de l’hypoxie vasculaire et de l’anémie hémolytique. Ils se situent le plus souvent au niveau du tiers inférieur de la jambe, zone où il existe une hyperpression veineuse chronique de la microcirculation capillaro-veinulaire, siège principal des phénomènes de vaso-occlusion. Il s’associe parfois une insuffisance veineuse. Ils surviennent le plus souvent spontanément ou lors d’une agression physique (piqûre d’insecte, excoriation sur prurit, ponction veineuse, traumatisme direct, etc.).

Ces ulcères peuvent être annoncés par une phase prodromique, caractérisée par des douleurs ou des dysesthésies. Ils peuvent être uniques ou multiples, profonds ou non, fibrineux. Leur taux de récidive est élevé. Ils peuvent se compliquer d’infection, de thromboses, d’eczéma, de dermite caustique, d’infections ostéo-articulaires, etc. Ils sont rebelles aux différents traitements usuels topiques et ont la particularité d’être extrêmement douloureux, douleur aiguë notamment pendant la réfection du pansement (la douleur procédurale, source d’une anxiété anticipatrice face aux soins pouvant retarder la cicatrisation) et la douleur chronique omniprésente.

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Comment soigner les ulcères de la drépanocytose ?

La prise en charge des ulcères de la drépanocytose nécessite la mise en œuvre d'une collaboration pluridisciplinaire et repose sur :

  • la prévention : l’utilisation d’émollient afin d’éviter la xérose cutanée, des chaussures adaptées, le port de chaussettes, des vêtements amples pour éviter les traumatismes cutanés. L’utilisation de répulsifs pour éviter les piqures d’insectes. Le port de contention veineuse en cas d’insuffisance veineuse. Évidemment, toute ponction veineuse au niveau des membres inférieurs est à proscrire ;
  • le traitement de fond et spécifique, avec suivi médical régulier : un programme transfusionnel (transfusion sanguine) peut se discuter, l’oxygénothérapie hyperbare, la greffe cutanée ;
  • la cicatrisation dirigée : soins locaux appropriés à la plaie, nombreux dispositifs médicaux et innovants (nouveaux médicaments, pansements innombrables, orthèses de compression veineuse) sur le marché à l’heure actuelle ;
  • la gestion de la douleur avec :

*la nécessité de prévenir la douleur procédurale lors du pansement : prémédication, protoxyde d’azote, etc. Intérêt de l’hypnose et autres thérapies non médicamenteuses ;

*la nécessité de traiter la douleur chronique avec des traitements antalgiques systémiques, et antalgiques locaux ; la prise en charge du retentissement psychologique et notamment des syndromes anxio-dépressifs, en tenant compte des dimensions sociales et ethnoculturelles. En effet, Il y a le vécu de la plaie et de ce qu’elle peut véhiculer. Elle est une perte de substance, qui, peut être vécue comme une rupture de soi, une perte de son intégrité corporelle, un « trou » responsable d’un préjudice esthétique, avec lequel le patient doit vivre. Elle renvoie une image négative.

*et autres mesures associées : la kinésithérapie pour éviter l’ankylose articulaire.

Le traitement antalgique doit être pensé en permanence et adapté en fonction de chaque patient. Il fait appel le plus souvent aux analgésiques centraux (les paliers II et III), voire aux psychotropes, responsables du mésusage, d’accoutumance et de phénomènes de dépendance. Ce qui est une problématique courante chez les patients drépanocytaires, ne facilitant pas la prise en charge.

Lors du pansement, les soins sont souvent pourvoyeurs d’inconfort et de douleur (notamment pendant les phases de lavage et de détersion) et source d’une appréhension pour les patients, d’une anxiété anticipatrice qui peut amplifier la douleur et être responsable de retard de cicatrisation par refus de soins.

Les thérapeutiques non médicamenteuses, prennent leur sens seul ou en association en médecine, avec la musicothérapie, l’aromathérapie (pour détourner l’odeur malodorante de l’ulcère), la sophrologie, les massages, l’hypnose,….

Qu'est-ce que le trait drépanocytaire ou porteurs sains ?

Le trait drépanocytaire correspond à la forme hétérozygote de la drépanocytose (Hétérozygotie AS). Ce sont des porteurs sains qui ne présenteront pas d’expression clinique de la maladie, sauf dans des situations extrêmes (altitude élevée, plongée sous-marine, activité physique extrême…).

Cas de drépanocytose et espérance de vie ?

L’amélioration de la survie et de la qualité des vies des patients drépanocytaires est une réalité depuis plusieurs années. Ce progrès est le résultat des stratégies de bonnes pratiques de la prise en charge en France et dans le monde.

Ainsi l’espérance de vie a-t-elle doublé en 20 ans passant d’un âge médian de 18 ans dans les années 1980 à 35 ans en 2001-2005. L’âge médian au regard des soins similaires aux États-Unis, se situerait aujourd’hui autour de 60 ans.

Pourquoi la drépanocytose est-elle une maladie génétique ?

En 1978, le gène de la drépanocytose a été identifié par T. Maniatis. La pathologie est due à une mutation unique et ponctuelle dans l’ADN du gène codant pour la bêta-globine, situé sur le chromosome 11.

L’hémoglobine forme des chaînes (polymère) lorsque la concentration d’oxygène dans le sang est faible (hypoxie). Ces polymères forment de grandes fibres qui déforment les hématies et leur donnent cette forme caractéristique de faucille. L’hémoglobine des sujets drépanocytaires est dite « hémoglobine S », pour Sickle qui veut dire faucille en anglais.

Drépanocytose et transmission génétique

La transmission génétique est autosomique récessive. Elle implique la transmission d’un gène muté par chaque parent. C’est en 1949 que la transmission héréditaire est établie par le généticien James Van Gundia Neel (1015-2000). Et, il a été démontré que l’hémoglobine S (HbS) est due à un remplacement d’un acide aminé en 1956 par V. Ingram.

Pourquoi la drépanocytose protège du paludisme ?

Selon la théorie de la sélection naturelle de Charles Darwin, cette mutation responsable a permis aux populations porteuses du trait drépanocytaire (Hétérozygotie AS) de s’adapter dans un écosystème hostile et notamment de survivre vis-à-vis des formes malariennes pernicieuses et mortelles (anémie graves et neuro-paludisme).

En effet, dans les régions impaludées (Afrique sub-saharienne, sous-continent indien, bassin méditerranéen, Moyen Orient, Nord de l’Amérique du Sud, Amérique centrale, etc.), les sujets avec une hémoglobine normale AA, et les sujets homozygotes SS ne survivaient pas la plupart du temps au paludisme à l’inverse des personnes porteuses du trait (AS) survivaient, ainsi ce trait drépanocytaire s’est répandu dans toutes les régions impaludées. Ce qui explique la superposition de la carte géographique des pays impaludés et des pays où est fréquente la drépanocytose.

Pouvez-vous nous parler d’un patient drépanocytaire que vous suivez ?

Je peux vous raconter l’histoire de "A", un patient isolé socialement de 38 ans, originaire du Sénégal, né en France à Rouen. Il est drépanocytaire homozygote SS. Il a comme antécédents principaux de multiples crises vaso-occlusives et des syndromes thoraciques aigus dont deux passages en réanimation, et des complications chroniques, : une cardiopathie, une rétinopathie et des ulcères chroniques extrêmement invalidants depuis 2003.

Les ulcères ont un impact majeur sur sa qualité de vie et sur son insertion "perso-socio-professionnelle". Il ne travaille plus depuis longtemps et ne s’autorise pas de vie personnelle ni sociale et professionnelle. Il est complètement isolé.

Un programme transfusionnel a été indiqué pour ses différentes complications et notamment les ulcères chroniques pendant plusieurs années, qui a dû être interrompu compte tenu de la survenue une hémochromatose post-tranfusionnelle. Il lui a été prodigué des soins topiques et des greffes cutanées à plusieurs reprises. Il a été discuté à plusieurs reprises de l’amputation de ces membres inférieurs compte tenu d’ulcères délabrants qui résistent à toutes thérapeutiques.

Face à ces douleurs intenses, omniprésentes, des ulcères, ce patient bénéficie d’un traitement antalgique par opiacés depuis de nombreuses années, ayant entrainé un syndrome de dépendance et responsable d’une insuffisance surrénalienne. Il a été en refus de soins longtemps, en raison des soins répétitifs des ulcères, et des douleurs induites insupportables.

Depuis deux ans, après un changement de centre de soins, grâce à des soins locaux prodigués sous hypnose et un programme transfusionnel, Mr A a de nouveau adhéré à un programme de soins. Aujourd’hui, il a retrouvé une qualité de vie en retrouvant une autonomie.

Sources

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  2. Wajcman H. Diagnostic et dépistage de la drépanocytose. Rev prat : 2004 ; 54 : 1543-7. PDF. http://uraca-basiliade.org/
  3. HAS : dépistage néonatal de la drépanocytose en France. Pertinence d’une généralisation du dépistage à l’ensemble des nouveaux-nés. https://www.has-sante.fr/
  4. Habibi A et al. Recommandations françaises de prise en charge de la drépanocytose de l’adulte. Rev Prat ; 2015. https://www.em-consulte.com/
  5. Benoist J, Lainé A. La drépanocytose Regards croisés sur une maladie orpheline. Bulletins Amades, 2004 ; 58. https://journals.openedition.org/
  6. Lainé A, Dorie A. HAL : Perceptions de la Drépanocytose dans les groupes atteints. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00432661
  7. Mery L., Aractingi S. — Les ulcères au cours de la drépanocytose. In: Girot R, Bégué P, Galactéros F, editors. La drépanocytose, Paris : John Libbey ; 2003, p. 211-219.
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  10. Arlet JB. Avancées thérapeutiques dans la drépanocytose : vers des thérapies ciblées. Rev Med Int, 2019. https://www.sciencedirect.com/
  11. Faure et Hanquet. Etat du vécu de dix sujets drépanocytaires. 2009. https://www.cairn.info/
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  20. Richard M. Étude du vécu de dix patients adultes atteints de drépanocytose : regards phénoménologiques et transculturels dans une étude perspective hypnothérapeutique. Thèse de doctorat en Psychologie. 2018. http://www.theses.fr/
  21. Maladies du sang : tout savoir sur les hémopathies (troubles hématologiques). 2022. https://www.le-guide-sante.org/

Liste des abréviations

  • GHU : groupe hospitalier universitaire.
  • CNR : centre nationale de référence.
  • CVO : crise vaso-occlusive.
  • STA : syndrome thoracique aigu.
  • HbA : hémoglobine A.
  • HbF : hémoglobine fœtale.
  • HbS : hémoglobine S.
  • Hb : hémoglobine.
  • SDM : syndrome drépanocytaire majeur.
  • SS : forme homozygote de la drépanocytose.
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