Victimes d'accidents de la route et indemnisation du préjudice d'agrèment

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La victime d’un accident de la route peut, dans les conséquences de l’accident, subir un préjudice d’agrément.

jeune assise sur la route après un accident

Qu’est-ce que le préjudice d’agrément ?

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Le préjudice d’agrément résulte de l’impossibilité pour la victime, après consolidation, de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

La définition du préjudice d’agrément

Le préjudice d’agrément ne résulte ni du Code civil ni de la loi. Il n’est mentionné que dans les textes visant la réparation du préjudice d’une victime d’un accident du travail. [1]

Le préjudice d'agrément est une construction jurisprudentielle qui a évolué avec le temps.

L'évolution de la définition

Dans un premier temps les juges ont eu une appréciation sévère du préjudice d'agrément.

Il s’agissait d’être dans l'impossibilité de pratiquer une activité sportive ou culturelle.

Puis la définition s'est élargie.

La Cour de Cassation définissait le préjudice d'agrément comme un « préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence, qui concerne les activités sportives, ludiques ou culturelles devenues impossibles ou limitées en raison des séquelles de l'accident ». [2]

Mais cette définition favorable à la victime était incompatible avec le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit.

La jurisprudence a donc eu à nouveau une vision restrictive à partir de 2012. [3]

En effet, l’appréciation du préjudice d’agrément tel que défini par la Cour de cassation permettait à la victime d’être indemnisée deux fois pour les mêmes préjudices : à la fois au titre du préjudice d’agrément et à la fois sous couvert de la réparation de son déficit fonctionnel temporaire ou permanent.

La distinction entre déficit fonctionnel et préjudice d’agrément

La Cour de Cassation a voulu distinguer clairement le préjudice d’agrément du préjudice lié à une baisse de qualité de vie qui est indemnisé par le poste du Déficit Fonctionnel Permanent.

Son but est d’assurer « une indemnisation sans perte ni profit ».

Le préjudice d’agrément avant consolidation

Le préjudice d’agrément avant consolidation est indemnisé dans le poste Déficit Fonctionnel Temporaire.

Celui-ci répare les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien à titre provisoire. Cela inclut le préjudice d’agrément.

Cela concerne l’aspect privé de la victime. Y figurent donc le préjudice d’agrément, le préjudice sexuel temporaire….

Cela ne comprend pas la douleur morale ou physique ressentie qui sont indemnisés avant consolidation dans un poste de préjudice autonome : il s’agit du prix de la douleur.

Le préjudice d’agrément après consolidation

Le préjudice d’agrément après consolidation est indemnisé dans un poste de préjudice autonome.

Il convient de le distinguer du Déficit Fonctionnel Permanent qui indemnise non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques. [4]

Il exclut le préjudice lié à la perte ou à la limitation dans l’exercice d’un sport, alors même qu’il inclut la douleur physique ou /et morale qui après consolidation ne constitue plus un poste de préjudice autonome.

En résumé à l’heure actuelle, pour bénéficier d’une indemnisation au titre d’un préjudice d’agrément, la victime doit justifier de la pratique de loisirs ou d’activités sportives spécifiques et de son impossibilité ou de sa limitation à les pratiquer de nouveau.

Les limitations apportées à une vie sociale, les difficultés à profiter de certains loisirs classiques telles les promenades en famille, marche, course à pied ne font plus l’objet d’une indemnisation au titre du préjudice d’agrément mais sont indemnisés au titre du poste de préjudice de déficit fonctionnel temporaire et permanent qui implique la perte de la qualité de vie.

Cette conception plus stricte du préjudice d’agrément est conforme à la nomenclature Dintilhac élaborée en 2005 qui définit le préjudice d’agrément comme : « (…) l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.). (…) » [5]

L’étendue de l’indemnisation du préjudice d’agrément

L’impossibilité de pratiquer un sport si elle peut-être totale peut également consister en une limitation dans une pratique antérieure. [6]

A titre d’exemple, la jurisprudence a indemnisé le préjudice d’agrément lorsque la victime se trouvait dans l’impossibilité de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir, la Cour ayant précisé que ce poste de préjudice incluait la limitation de la pratique antérieure. [7]

A ce titre, la Cour de Cassation sanctionne les Cours d’Appel qui n’ont pas indemnisé le préjudice d’agrément au prétexte que la pratique était déjà limitée en raison d’un motif lié à son état de santé antérieur.

Comment indemnise-t-on le préjudice d’agrément ?

Depuis 2005 et l’application de la nomenclature Dintilhac dans les accidents de la route, ce poste de préjudice est indemnisé en deux temps :

Avant la consolidation, il s’agit du préjudice fonctionnel temporaire (DFT)

Préjudice d’agrément temporaire et DFT

L’indemnisation du préjudice d'agrément temporaire est aujourd'hui incluse dans l’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire. Cela se traduit par une augmentation de la somme allouée au titre de l’incapacité temporaire.

La définition du DFT est la période de préconsolidation durant laquelle la victime ne peut pas pratiquer pleinement ses activités quotidiennes (se laver, faire ses courses, son ménage, etc.), que ces activités soient professionnelles ou personnelles, correspondant à ce qui était auparavant appelé « la gêne dans les actes de la vie courante ».

L’évaluation du déficit fonctionnel temporaire

Le DFT était avant appelé la gêne dans les actes de la vie courante.

Le Déficit Fonctionnel Temporaire peut être partiel ou total :

  • Une incapacité de 100% correspond à un Déficit Fonctionnel Temporaire Total (DFTT) en cas d’hospitalisation notamment.
  • Une incapacité comprise en 1 et 99% correspond à un Déficit Fonctionnel Temporaire Partiel (DFTP).

Le DFT est évalué par le médecin expert le jour de l’examen médical.

Le DFT est en général défini en 4 classes :

  • classe 1 : incapacité temporaire à 10%
  • classe 2 : incapacité temporaire à 25%
  • classe 3 : incapacité temporaire à 50%
  • classe 4 : incapacité temporaire à 75%

Plus rarement l’expert se prononce par un pourcentage.

En pratique l’indemnisation du Déficit Fonctionnel Temporaire Total se fait par l’allocation d’une indemnité journalière allant de 20 à 30 €.

Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence et le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire ; qu'il doit être réparé sur la base d'environ 900 € par mois, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie. [8]

L’avocat spécialisé dans l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation va pouvoir faire augmenter l’indemnisation quand la victime est une personne active, sportive, et qui ressent de manière particulière les limitations qu’entrainent dans son activité sportive les blessures subies : par exemple un sportif qui fait des compétitions.

Les associations d’aide aux victimes peuvent également accompagner les victimes dans l’indemnisation de ce poste de préjudice. [9]

On a cru il y a quelques années à une évolution de la Cour de Cassation et à une reconnaissance d’un poste de préjudice d’agrément temporaire autonome.

La Cour de cassation a en effet pendant un temps accepté d'indemniser le préjudice d'agrément temporaire en dehors du déficit fonctionnel temporaire. Mais cela n’a pas prévalu. [10]

En effet, la Haute juridiction a rappelé que le préjudice d’agrément temporaire était inclus dans le poste de déficit fonctionnel temporaire et qu’à ce titre, il n’y avait donc pas lieu de l’indemniser de manière autonome. [11]

Après la consolidation, il s’agit d’un poste de préjudice autonome : le préjudice d’agrément

Il ressort de la jurisprudence que le préjudice d'agrément permanent entraine une indemnisation sous condition.

La Cour de cassation rappelle que le préjudice d'agrément permanent indemnise « l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ». [12]

Or, l'indemnisation de ce poste de préjudice suppose que la victime ait effectivement pratiqué une telle activité avant la survenance du fait dommageable.

Faute de prouver une activité sportive, l’expert refusera de retenir ce poste de préjudice.

Il faut donc être adhérent, faire des compétitions… et en justifier.

Cette conception stricte a le mérite d’être conforme à la nomenclature Dintilhac, qui envisage sous l’appellation « préjudice d’agrément » un préjudice spécifique lié à la privation d’activités sportives ou de loisirs.

Un assouplissement dans la notion du préjudice d’agrément est cependant intervenu. [13]

La Cour de cassation y indique que ce poste indemnise l’impossibilité totale ou partielle de la pratique. [14]

La juridiction rappelle que « le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. » [15]

Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure ne permettant plus de viser les podiums, et relève que les conditions dans lesquelles la victime continuait à s’y livrer obéissaient désormais à un but essentiellement thérapeutique.

C’est à juste titre que la Cour d’appel lui a accordé une indemnité au titre du préjudice d’agrément.

Les méthodes d’évaluation du préjudice d’agrément

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Quelles preuves doivent être apportées ? Pour obtenir quelles indemnités ?

Pour que ce poste de préjudice soit retenu par l’expert et indemniser, il faudra prouver « l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ». [16]

L’expertise

Il peut s’agir d’une expertise amiable, organisée dans le cadre de la loi Badinter avec un médecin désigné par la compagnie d’assurance mise en cause, ou judiciaire par un médecin inscrit sur la liste auprès de la Cour d’appel.

Elle devra lui indiquer la nature des sports précédemment pratiqués.

L’expert ne bénéficie pas d’une échelle de valeurs sur 7 comme dans l’évaluation du pretium doloris.

Le rôle du médecin expert va être de donner un avis motivé sur l’impossibilité définitive de continuer la pratique d’une activité de loisirs régulièrement exercée antérieurement, ou sa limitation, voire de sa gêne, en discutant de l’imputabilité à l’évènement causal.

Il va confronter les activités décrites par la victime à ses capacités physiques.

Il est dans l’intérêt de la victime de se rendre à l’expertise médicale et d'être accompagnée d’un avocat spécialisé et d’un médecin conseil, faute de quoi il est fréquent que ce poste de préjudice ne soit pas discuté et donc non indemnisé.

L’expert fait donc une appréciation du préjudice en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime : âge, niveau, etc.

Le préjudice d’agrément n’est pas évalué par l’expert médical.  L’expert peut uniquement donner tous les éléments permettant de le caractériser d’un point de vue médico-légal.

Il va constater l’impossibilité physique ou la limitation dans l’exercice d’un sport.

Il reviendra à l’avocat de la victime de rapporter la preuve des activités sportives spécifiques pratiquées avant l’accident de la route devant les juges, ou dans un cadre amiable à l’inspecteur de compagnie chargé du dossier d’indemnisation.

La preuve du préjudice

La Cour de cassation sanctionne les juges d’appel si la preuve d’activités sportives spécifiques n’est pas rapportée : le préjudice d’agrément ne sera pris en compte que s'il est certain.

Ainsi, la victime devra apporter la preuve qu'elle pratiquait réellement ce sport ou ce loisir de manière régulière avant l'accident.

Les pièces justificatives peuvent être des attestions de clubs sportifs afin de prouver l’adhésion à un club, des résultats de compétitions, des scores….

Sur les moyens de preuve

Les attestations d’amis ou de la famille ne suffisent pas. [17]

Il est néanmoins possible de faire indemniser la victime sans justificatif quand le DFP est très important et ne permettra pas à la victime de changer d’avis et de pratiquer un sport ou faire des randonnées : il s’agit en général de conséquences de graves accidents de la route tels traumatismes crâniens, paraplégie, tétraplégie. [18]

La présence d’un avocat spécialisé aidera la victime à faire prospérer cette demande.

Bien plus la Cour de Cassation ait indemnisé un préjudice d’agrément fondé sur un blocage psychologique mettant la victime dans l’impossibilité de pratiquer le sport alors qu’aucune atteinte physique ne l’en empêchait. [19]

Quelle indemnisation du préjudice d’agrément dans un accident de la route ?

Le préjudice d’agrément, comme le préjudice esthétique est indemnisé forfaitairement. Il n’y a pas de barème d'évaluation spécifique.

Le montant des indemnités est déterminé au cas par cas, et varie en fonction de l'âge de la victime et de la manière dont le sport était pratiqué.

Le montant de l’indemnisation est très variable et rend très difficile l’établissement d’un barème indicatif.

En général les préjudices d'agrément sont indemnisés par une indemnité allant de 1000€ à 20000€ plus rarement de 45000€ à 60000€.

Afin de permettre l’indemnisation de ce poste de préjudice par le juge ou l’inspecteur régleur de la compagnie d’assurance, il est primordial que l’avocat et la victime aient préparé leurs demandes.

Et notamment qu’ils fournissent une copie des dernières cotisations à des clubs de sport, des photographies montrant leurs pratiques sportives, en personnalisant la demande, sous peine d’une absence totale d’indemnisation avant consolidation, et rejet des demandes d’indemnisation faute de justificatifs concernant le poste après consolidation.

L’avocat spécialisé sera attentif à ce que les offres d’indemnisation, faites par l’assureur, n’oublient pas ce poste de préjudice et l’indemnisent correctement.

Sources

  1. Article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006743113

  2. Civ. I, 4 novembre 2010, n°09-69918, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000023012845/

  3. Civ. II, 28 juin 2012, 11-16.120, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026094622/

  4. Lettre de la COREIDOC n°17 – Le déficit fonctionnel permanent (DFP), https://www.aredoc.com/index.php/publication/lettre-de-la-coreidoc-n-17-le-deficit-fonctionnel-permanent-dfp/

  5. Nomenclature Dintilhac consultable en ligne sur le site du Ministère des solidarités et de la santé : Nomenclature des postes de préjudices : rapport de M. Dintilhac - Ministère des Solidarités et de la Santé : solidarites-sante.gouv.fr

  6. Civ II, 22 octobre 2020, n°19-15.951, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042486491?init=true&page=1&query=19-15951&searchField=ALL&tab_selection=all

  7. Civ I, 20 octobre 2021, n°19-23.229, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000044245383?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=juri

  8. Civ. I, 12 décembre 2018, n°17-18436, https://juricaf.org/arret/FRANCE-COURDECASSATION-20181212-1718436

  9. Indemnisation des victimes d’accidents - Association Vic.TEAM : associationvicteam.com

  10. Civ. 2e, 3 juin 2010, n° 09-13.246, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022313618/

  11. Civ. 2e, 27 avril 2017, n° 16-13.740, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000034552071

  12. Civ. 2ème, 23 septembre 2021, n°20-13.792, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000044162518/

  13. Civ. II, 29 mars 2018, n°17-14499, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036780068

  14. Ibidem.

  15. Cass. 2ème civ., 29 mars 2018, n° 17-14499

  16. Civ. I, 28 février 2013, pourvoi n° 11-2015 ; Cass, Civ 2, 3 juin 2021, n°20-13.574

  17. Civ II, 18 septembre 2014, n°13-20400, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000029483103

  18. Civ. II, 13 juin 2019, n°18-20547, https://juricaf.org/arret/FRANCE-COURDECASSATION-20190613-1820547

  19. Civ II, 5 juillet 2018, n°16-21.776 ; Civ 2, 19 décembre 2019, n°18-25.114

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