L'obésité représente aujourd'hui l'un des défis majeurs de santé publique à l'échelle mondiale. Définie médicalement comme un excès de masse grasse ayant des conséquences néfastes sur la santé, elle est caractérisée par un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 30 kg/m². Cette condition, autrefois considérée comme un problème des pays industrialisés, s'est progressivement étendue pour devenir une pandémie mondiale. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la prévalence de l'obésité a presque triplé depuis 1975, avec plus de 650 millions d'adultes obèses dans le monde en 2022 [1]. Cette augmentation alarmante n'épargne aucune région du globe et touche désormais toutes les catégories socioéconomiques, bien que de manière inégale.

Les conséquences de l'obésité dépassent largement le cadre individuel pour devenir un enjeu sociétal et économique majeur. Elle constitue un facteur de risque significatif pour de nombreuses maladies chroniques non transmissibles, notamment les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, certains cancers et les troubles musculo-squelettiques. L'impact économique est également considérable, avec des coûts directs liés aux soins médicaux et des coûts indirects résultant de la perte de productivité et de l'absentéisme professionnel. Face à cette situation, les systèmes de santé du monde entier se retrouvent confrontés à un défi sans précédent, nécessitant des stratégies d'intervention à multiples niveaux.
La complexité de l'obésité réside dans son caractère multifactoriel, impliquant des interactions complexes entre des facteurs génétiques, biologiques, comportementaux, environnementaux et socioéconomiques. Cette complexité rend particulièrement difficile l'élaboration de stratégies efficaces pour enrayer sa progression. Les approches traditionnelles centrées uniquement sur la responsabilité individuelle se sont révélées insuffisantes, soulignant la nécessité d'adopter des perspectives plus larges qui prennent en compte les déterminants structurels de cette épidémie. De ce fait, l'obésité est désormais reconnue comme une maladie chronique nécessitant une prise en charge à long terme et des interventions ciblant aussi bien les individus que les environnements dans lesquels ils évoluent.
Cet article propose d'explorer en profondeur les différentes facettes de cette problématique de santé publique majeure. Nous examinerons successivement l'épidémiologie et la prévalence de l'obésité à travers le monde, les multiples facteurs contribuant à son développement, ses conséquences sur la santé et l'économie, les stratégies de prévention et politiques publiques mises en œuvre pour y faire face, et enfin les innovations et perspectives futures dans la lutte contre ce fléau. À travers cette analyse, nous visons à fournir une compréhension globale des enjeux liés à l'obésité et à identifier les pistes d'action les plus prometteuses pour relever ce défi de santé publique majeur.
Épidémiologie et prévalence de l'obésité
L'épidémiologie de l'obésité révèle une situation particulièrement préoccupante à l'échelle mondiale. Selon les dernières estimations de l'OMS, plus de 1,9 milliard d'adultes sont en surpoids, parmi lesquels 650 millions sont obèses, ce qui représente environ 13% de la population adulte mondiale [1]. Cette prévalence élevée s'accompagne d'une augmentation constante et rapide au cours des dernières décennies. Entre 1975 et 2022, la prévalence mondiale de l'obésité a presque triplé, avec une accélération notable depuis les années 1990. Cette tendance est observée dans toutes les régions du monde, bien qu'à des rythmes différents et avec des variations significatives selon les pays et les contextes.
Dans les pays à revenu élevé, la prévalence de l'obésité a longtemps été supérieure à celle observée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Aux États-Unis, par exemple, plus de 42% des adultes sont désormais considérés comme obèses, soit une augmentation de près de 12 points de pourcentage depuis le début des années 2000. En Europe, bien que les taux soient globalement inférieurs à ceux des États-Unis, la tendance est similaire, avec une prévalence moyenne dépassant 20% dans de nombreux pays. Cependant, le phénomène le plus marquant de ces dernières années est l'augmentation rapide de l'obésité dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, particulièrement dans les zones urbaines. Cette "transition nutritionnelle" s'explique notamment par l'adoption progressive de modes de vie occidentalisés, caractérisés par une alimentation riche en calories, en graisses et en sucres, combinée à une réduction de l'activité physique.
L'analyse des données épidémiologiques révèle également d'importantes disparités socioéconomiques et géographiques dans la prévalence de l'obésité. Dans les pays à revenu élevé, l'obésité affecte de manière disproportionnée les populations défavorisées, créant un paradoxe où la pauvreté et l'excès pondéral coexistent. Ce phénomène s'explique notamment par l'accessibilité économique des aliments à forte densité énergétique mais à faible valeur nutritionnelle, ainsi que par les contraintes environnementales limitant l'accès à une alimentation équilibrée et à des espaces propices à l'activité physique. À l'inverse, dans certains pays à revenu faible ou intermédiaire, l'obésité peut encore être plus prévalente dans les classes sociales aisées, bien que cette tendance s'inverse progressivement avec le développement économique [2].
Particulièrement alarmante est l'augmentation de la prévalence de l'obésité chez les enfants et les adolescents, avec des conséquences potentiellement graves à long terme. Selon les estimations mondiales, plus de 340 millions d'enfants et d'adolescents âgés de 5 à 19 ans étaient en surpoids ou obèses en 2022. Cette situation est d'autant plus préoccupante que l'obésité infantile est associée à un risque accru d'obésité à l'âge adulte et à l'apparition précoce de nombreuses comorbidités. Les données épidémiologiques montrent également que les enfants issus de milieux défavorisés sont particulièrement vulnérables, soulignant l'importance des déterminants sociaux dans le développement de l'obésité dès le plus jeune âge.
La distribution géographique de l'obésité présente également des particularités notables. Certaines régions du monde, comme les îles du Pacifique, affichent des taux d'obésité extrêmement élevés, dépassant parfois 50% de la population adulte. Ces disparités s'expliquent par une combinaison complexe de facteurs génétiques, culturels, économiques et environnementaux. L'urbanisation rapide dans de nombreuses régions du monde contribue également à l'augmentation de la prévalence de l'obésité, en modifiant profondément les modes de vie et les habitudes alimentaires des populations.
Facteurs étiologiques et déterminants de l'obésité
L'obésité résulte d'une interaction complexe entre de multiples facteurs biologiques, comportementaux, environnementaux et socioéconomiques. Comprendre cette étiologie multifactorielle est essentiel pour développer des stratégies de prévention et d'intervention efficaces. Sur le plan physiologique, l'obésité survient lorsque l'apport énergétique excède de manière chronique la dépense énergétique, conduisant à un stockage excessif d'énergie sous forme de graisse. Cependant, cette équation apparemment simple masque des mécanismes beaucoup plus complexes qui influencent tant l'apport que la dépense énergétique.
Les facteurs génétiques jouent un rôle indéniable dans la susceptibilité individuelle à l'obésité. Les études sur les jumeaux et les familles ont démontré que l'héritabilité de l'IMC se situe entre 40% et 70%, suggérant une forte composante génétique [2]. Des recherches récentes ont identifié plusieurs centaines de variants génétiques associés à l'obésité, bien que chacun n'exerce qu'un effet modeste sur le poids corporel. Certains gènes influencent directement le métabolisme énergétique, tandis que d'autres agissent sur les mécanismes de régulation de l'appétit et de la satiété. Les formes monogéniques d'obésité, comme celles liées à des mutations du gène de la leptine ou de son récepteur, sont rares mais illustrent de manière éloquente l'importance des facteurs génétiques. Toutefois, l'augmentation rapide de la prévalence de l'obésité au cours des dernières décennies ne peut s'expliquer par des changements génétiques, soulignant l'importance cruciale des facteurs environnementaux.
L'environnement alimentaire moderne joue un rôle déterminant dans l'épidémie d'obésité. La disponibilité accrue d'aliments à forte densité énergétique, riches en graisses saturées, en sucres ajoutés et en sel, combinée à des portions de plus en plus importantes, contribue significativement à un apport calorique excessif. L'industrialisation de la production alimentaire a conduit à une abondance d'aliments ultra-transformés, souvent moins rassasiants et encourageant la surconsommation. Par ailleurs, le marketing alimentaire agressif, particulièrement celui ciblant les enfants, influence considérablement les choix alimentaires. Ces caractéristiques définissent ce que les experts qualifient d'"environnement obésogène", dans lequel les choix alimentaires sains deviennent plus difficiles [3].
Parallèlement, les modes de vie contemporains se caractérisent par une réduction significative de l'activité physique. L'urbanisation, la mécanisation du travail, la prédominance des emplois sédentaires, l'utilisation croissante des transports motorisés et le temps accru consacré aux écrans contribuent tous à diminuer la dépense énergétique quotidienne. Dans de nombreuses régions urbaines, l'absence d'espaces verts sécurisés et accessibles limite encore davantage les opportunités d'activité physique, particulièrement pour les populations défavorisées.
Les facteurs socioéconomiques exercent également une influence majeure sur le risque d'obésité. Dans les pays développés, un statut socioéconomique défavorisé est généralement associé à une prévalence plus élevée d'obésité, en raison notamment de l'accessibilité économique limitée à une alimentation équilibrée. Les quartiers défavorisés présentent souvent une concentration plus élevée de restauration rapide et un accès réduit aux commerces proposant des aliments frais et nutritifs, créant ce que certains chercheurs appellent des "déserts alimentaires". Les contraintes financières, temporelles et logistiques peuvent également limiter l'accès à des activités physiques structurées, comme les sports organisés ou les salles de fitness.
D'autres facteurs biologiques et comportementaux contribuent également au développement de l'obésité. Les troubles du sommeil, de plus en plus prévalents dans nos sociétés, ont été associés à un risque accru d'obésité par le biais de mécanismes hormonaux influençant l'appétit et le métabolisme. Le stress chronique peut également favoriser la prise de poids en stimulant la consommation d'aliments réconfortants et en perturbant les mécanismes de régulation de l'appétit. Enfin, certains médicaments, comme les antipsychotiques, les antidépresseurs et les corticostéroïdes, peuvent induire une prise de poids significative chez certains patients.
Conséquences sanitaires et socioéconomiques
L'obésité entraîne un large éventail de conséquences néfastes, tant sur le plan individuel que collectif, faisant d'elle un problème de santé publique majeur. Les répercussions sanitaires sont particulièrement graves et touchent pratiquement tous les systèmes de l'organisme. Sur le plan cardiovasculaire, l'obésité constitue un facteur de risque indépendant pour l'hypertension artérielle, les cardiopathies ischémiques, l'insuffisance cardiaque et les accidents vasculaires cérébraux. Le risque de développer un diabète de type 2 est également considérablement accru, avec une relation dose-dépendante entre l'IMC et l'incidence de cette maladie. Environ 90% des personnes atteintes de diabète de type 2 présentent un surpoids ou une obésité, illustrant la forte association entre ces deux conditions [3].
Les liens entre obésité et cancer sont également bien établis. Selon le Centre International de Recherche sur le Cancer, l'excès de poids est associé à un risque accru pour au moins 13 types de cancers, dont ceux de l'œsophage, du côlon, du pancréas, du sein (après la ménopause) et de l'endomètre. Les mécanismes impliqués incluent l'inflammation chronique, les perturbations hormonales et les altérations du métabolisme cellulaire. Sur le plan respiratoire, l'obésité est un facteur de risque majeur du syndrome d'apnée obstructive du sommeil et peut également aggraver l'asthme et d'autres affections pulmonaires. Les complications hépatiques, notamment la stéatose hépatique non alcoolique, sont également fréquentes chez les personnes obèses et peuvent évoluer vers des formes plus graves comme la stéatohépatite, la fibrose et la cirrhose.
L'impact de l'obésité sur le système musculo-squelettique se manifeste principalement par une augmentation de la prévalence de l'arthrose, en particulier au niveau des articulations porteuses comme les genoux et les hanches. La surcharge pondérale exerce une pression excessive sur ces articulations, accélérant leur dégradation et entraînant douleurs et limitations fonctionnelles. Les troubles métaboliques associés à l'obésité, notamment la résistance à l'insuline et la dyslipidémie, constituent le syndrome métabolique, condition qui multiplie considérablement le risque de maladies cardiovasculaires et de diabète [4].
Au-delà de ces comorbidités spécifiques, l'obésité affecte profondément la qualité de vie et réduit l'espérance de vie. Les estimations suggèrent qu'une obésité sévère peut réduire l'espérance de vie de 5 à 10 ans, un impact comparable à celui du tabagisme. Cette réduction de l'espérance de vie s'explique par l'apparition précoce des comorbidités et par l'augmentation du risque de mortalité prématurée. La qualité de vie est également compromise par les limitations fonctionnelles, les douleurs chroniques et la fatigue fréquemment associées à l'obésité.
Sur le plan psychosocial, les personnes obèses sont souvent confrontées à une stigmatisation et à des discriminations dans de nombreux domaines, notamment l'éducation, l'emploi et les soins de santé. Cette stigmatisation peut engendrer ou exacerber des troubles psychologiques comme la dépression, l'anxiété et une faible estime de soi, créant un cercle vicieux où la détresse psychologique peut favoriser des comportements alimentaires dysfonctionnels et aggraver l'obésité. Les enfants et adolescents obèses sont particulièrement vulnérables au harcèlement et à l'exclusion sociale, avec des conséquences potentiellement graves sur leur développement psychologique et leur réussite scolaire.
L'impact économique de l'obésité est considérable et se manifeste tant par des coûts directs qu'indirects. Les coûts directs concernent les dépenses de santé liées au traitement de l'obésité elle-même et de ses nombreuses comorbidités. Dans de nombreux pays développés, ces coûts représentent entre 2% et 8% des dépenses totales de santé. Aux États-Unis, le coût médical annuel attribuable à l'obésité est estimé à plus de 190 milliards de dollars. Les coûts indirects, souvent sous-estimés, incluent la perte de productivité due à l'absentéisme, le présentéisme (présence au travail mais avec une productivité réduite), l'incapacité de travail et la mortalité prématurée. Ces coûts indirects peuvent égaler ou même dépasser les coûts directs, soulignant l'impact économique global massif de l'épidémie d'obésité [4].
Stratégies de prévention et politiques publiques
Face à l'ampleur et à la complexité de l'épidémie d'obésité, des stratégies de prévention et des politiques publiques diversifiées ont été développées à travers le monde. Ces interventions se déploient à différents niveaux, de l'individu à la société dans son ensemble, et visent à modifier tant les comportements individuels que les environnements dans lesquels ils s'inscrivent. La prévention de l'obésité est généralement conceptualisée selon trois niveaux : primaire (prévenir l'apparition de l'obésité), secondaire (détecter et traiter l'obésité précocement) et tertiaire (minimiser les complications chez les personnes déjà obèses).
Au niveau individuel, les interventions se concentrent principalement sur l'éducation nutritionnelle, la promotion de l'activité physique et le soutien psychologique pour favoriser des changements comportementaux durables. Ces approches incluent des conseils diététiques personnalisés, des programmes d'activité physique adaptés et des stratégies de gestion du stress et des émotions. Les interventions familiales, particulièrement importantes dans la prévention de l'obésité infantile, visent à modifier l'environnement alimentaire domestique et à promouvoir des activités physiques en famille. Cependant, l'efficacité limitée des approches strictement individuelles a conduit à une reconnaissance croissante de la nécessité d'interventions plus larges, ciblant les déterminants environnementaux et sociétaux de l'obésité [5].
Les politiques publiques jouent un rôle crucial dans la création d'environnements favorables à une alimentation équilibrée et à l'activité physique. Les mesures fiscales, comme les taxes sur les boissons sucrées adoptées dans plusieurs pays, visent à réduire la consommation de produits associés à un risque accru d'obésité tout en générant des revenus pouvant être réinvestis dans des programmes de santé publique. L'évaluation de ces politiques montre des résultats encourageants, avec des réductions significatives de la consommation de boissons sucrées dans les pays ayant mis en œuvre de telles taxes. Les subventions pour les fruits et légumes constituent une approche complémentaire, visant à améliorer l'accessibilité économique des aliments sains.
La réglementation du marketing alimentaire, particulièrement celui ciblant les enfants, représente une autre stratégie importante. Plusieurs pays ont adopté des restrictions sur la publicité télévisée pour les aliments à forte teneur en graisses, en sucres et en sel pendant les heures d'écoute des enfants. Certains ont également mis en place des réglementations concernant le marketing dans les écoles et sur les plateformes numériques. L'étiquetage nutritionnel constitue un outil supplémentaire pour aider les consommateurs à faire des choix plus éclairés. Des systèmes d'étiquetage simplifiés, comme le Nutri-Score en Europe, visent à améliorer la compréhension et l'utilisation des informations nutritionnelles par les consommateurs [5].
Les interventions en milieu scolaire occupent une place centrale dans la prévention de l'obésité infantile. Ces programmes multidimensionnels incluent généralement l'amélioration de la qualité nutritionnelle des repas scolaires, l'éducation à la nutrition, l'augmentation du temps dédié à l'activité physique et la restriction de l'accès aux aliments et boissons à faible valeur nutritionnelle dans l'enceinte scolaire. Les évaluations de ces programmes montrent des résultats variables mais globalement positifs, surtout lorsqu'ils impliquent activement les familles et la communauté.
L'aménagement urbain peut également contribuer significativement à la prévention de l'obésité en facilitant l'activité physique quotidienne. La création d'espaces verts accessibles, de pistes cyclables sécurisées et de zones piétonnes favorise les déplacements actifs et les loisirs physiques. La planification urbaine peut également améliorer l'accès aux aliments sains, notamment par le biais de marchés fermiers et d'initiatives communautaires comme les jardins partagés.
Les systèmes de santé ont également un rôle essentiel à jouer, tant dans la prévention que dans la prise en charge de l'obésité. Le dépistage systématique du surpoids et de l'obésité lors des consultations médicales, associé à des conseils préventifs adaptés, constitue une stratégie efficace de prévention secondaire. La formation des professionnels de santé aux approches non stigmatisantes et aux interventions comportementales est également cruciale pour améliorer la qualité des soins proposés aux personnes en surpoids ou obèses.
Innovations et perspectives dans la lutte contre l'obésité
Face à la persistance et à l'aggravation de l'épidémie d'obésité malgré les efforts déployés, de nouvelles approches et innovations émergent pour enrichir l'arsenal des stratégies de prévention et de prise en charge. Ces avancées couvrent un large spectre, des thérapies médicamenteuses et chirurgicales aux technologies numériques, en passant par des approches interdisciplinaires innovantes. Elles offrent de nouvelles perspectives prometteuses, tout en soulevant des questions importantes quant à leur accessibilité, leur coût et leur intégration dans les systèmes de santé existants.
Dans le domaine thérapeutique, les dernières années ont vu l'émergence de nouveaux médicaments contre l'obésité offrant une efficacité supérieure aux options précédentes. Les analogues du GLP-1 (Glucagon-Like Peptide-1), initialement développés pour le traitement du diabète de type 2, ont démontré une efficacité significative dans la réduction du poids corporel en agissant sur les mécanismes de la satiété et en ralentissant la vidange gastrique. Ces médicaments, comme le sémaglutide, peuvent induire des pertes de poids de l'ordre de 15% à 20%, se rapprochant ainsi des résultats obtenus par certaines interventions chirurgicales. La recherche pharmacologique se poursuit activement, avec le développement de molécules ciblant d'autres voies métaboliques et hormonales impliquées dans la régulation du poids corporel, comme les analogues combinés GLP-1/GIP et les antagonistes du récepteur MC4.
La chirurgie bariatrique reste l'intervention la plus efficace pour les patients souffrant d'obésité sévère, avec des pertes de poids pouvant atteindre 30% du poids initial et des améliorations significatives des comorbidités, notamment du diabète de type 2. L'évolution des techniques chirurgicales vers des approches moins invasives, comme la sleeve gastrectomie par voie laparoscopique, a contribué à réduire les complications postopératoires et à améliorer l'acceptabilité de ces interventions. Parallèlement, des dispositifs médicaux innovants, comme les ballons intragaztriques et les systèmes d'aspiration gastrique, offrent des alternatives moins invasives pour les patients qui ne sont pas candidats à la chirurgie ou qui préfèrent éviter une intervention chirurgicale [4].
Les technologies numériques transforment également la prévention et la prise en charge de l'obésité. Les applications mobiles de suivi alimentaire et d'activité physique, les montres connectées et autres objets connectés permettent un monitoring précis et continu des comportements de santé. Ces outils peuvent favoriser l'autogestion et la motivation en fournissant un retour immédiat et personnalisé. Les plateformes de télésanté facilitent l'accès aux professionnels de santé et aux programmes de perte de poids, particulièrement bénéfiques pour les personnes vivant dans des zones rurales ou ayant des difficultés de mobilité. L'intelligence artificielle et les algorithmes d'apprentissage automatique commencent également à être appliqués pour personnaliser les interventions en fonction des caractéristiques individuelles, des préférences et des réponses aux traitements antérieurs, ouvrant la voie à une médecine de précision dans le domaine de l'obésité.
L'évolution vers des approches plus interdisciplinaires constitue une autre tendance majeure. La reconnaissance de l'obésité comme une maladie chronique complexe nécessitant une prise en charge globale a conduit au développement de programmes multidisciplinaires intégrant diététiciens, psychologues, médecins spécialistes et éducateurs en activité physique. Ces approches holistiques, qui adressent simultanément les différentes facettes de l'obésité, montrent des résultats prometteurs en termes de perte de poids durable et d'amélioration de la qualité de vie. L'intégration des sciences comportementales, notamment les techniques issues de l'économie comportementale comme les "nudges" (incitations douces), enrichit également les stratégies d'intervention en exploitant les mécanismes de prise de décision et les biais cognitifs pour orienter les choix vers des options plus saines.
La recherche sur le microbiote intestinal ouvre également de nouvelles perspectives dans la compréhension et le traitement de l'obésité. Des différences significatives dans la composition du microbiote ont été observées entre les personnes obèses et non obèses, et des manipulations expérimentales du microbiote peuvent influencer le poids corporel dans des modèles animaux. Ces découvertes ont conduit au développement d'approches thérapeutiques ciblant le microbiote, comme les probiotiques, les prébiotiques et même les transplantations fécales, bien que leur efficacité clinique reste à confirmer par des études à grande échelle [5].
Malgré ces avancées prometteuses, des défis importants persistent. L'accessibilité et l'équité dans l'accès aux nouvelles thérapies constituent une préoccupation majeure, particulièrement pour les populations défavorisées déjà disproportionnellement affectées par l'obésité. Le coût élevé des nouveaux médicaments et des technologies numériques risque d'exacerber les inégalités existantes si des politiques d'accès équitable ne sont pas mises en place. Par ailleurs, l'efficacité à long terme de nombreuses interventions reste à démontrer, soulignant l'importance d'études longitudinales et de registres de patients pour évaluer leur impact sur la durée.
Conclusion
L'obésité représente indéniablement l'un des défis de santé publique les plus complexes et les plus pressants de notre époque. Comme nous l'avons exploré tout au long de cet article, sa prévalence croissante, ses multiples déterminants et ses conséquences graves en font une priorité sanitaire mondiale. L'ampleur de cette épidémie, qui touche désormais tous les continents et toutes les catégories socioéconomiques, témoigne de l'influence profonde des transformations sociétales, économiques et environnementales sur notre santé collective.
La compréhension de l'obésité a considérablement évolué au cours des dernières décennies, passant d'une vision simpliste centrée sur la responsabilité individuelle à une approche systémique reconnaissant le rôle crucial des environnements obésogènes et des déterminants sociaux. Cette évolution conceptuelle a des implications majeures pour les stratégies d'intervention, soulignant la nécessité d'actions coordonnées à multiples niveaux, de l'individu aux politiques publiques nationales et internationales. Les données présentées dans cet article mettent en évidence que les approches les plus prometteuses combinent des interventions ciblant simultanément les comportements individuels, les environnements alimentaires et physiques, les politiques économiques et les normes sociales.
Les innovations récentes dans le domaine de la prise en charge médicale et chirurgicale, associées aux avancées technologiques et aux nouvelles perspectives interdisciplinaires, offrent des outils supplémentaires pour faire face à ce défi. Néanmoins, il est crucial de veiller à ce que ces progrès bénéficient à l'ensemble de la population, et non seulement aux groupes les plus privilégiés, afin de ne pas exacerber les inégalités de santé déjà existantes.
Pour réussir à inverser la tendance de cette épidémie mondiale, une mobilisation sans précédent de l'ensemble des acteurs de la société sera nécessaire : gouvernements, industrie alimentaire, systèmes de santé, médias, écoles, communautés et individus. Cette approche collaborative et multisectorielle constitue notre meilleur espoir de créer un avenir où l'obésité ne représentera plus une menace majeure pour la santé publique mondiale.
Références
- Organisation Mondiale de la Santé. (2022). Obésité et surpoids.
- Hruby, A., & Hu, F. B. (2015). The Epidemiology of Obesity: A Big Picture. PharmacoEconomics, 33(7), 673–689.
- Swinburn, B. A., Sacks, G., Hall, K. D., McPherson, K., Finegood, D. T., Moodie, M. L., & Gortmaker, S. L. (2011). The global obesity pandemic: shaped by global drivers and local environments. The Lancet, 378(9793), 804–814.
- Wang, Y. C., McPherson, K., Marsh, T., Gortmaker, S. L., & Brown, M. (2011). Health and economic burden of the projected obesity trends in the USA and the UK. The Lancet, 378(9793), 815–825.
- Goettler, A., Grosse, A., & Sonntag, D. (2017). Productivity loss due to overweight and obesity: a systematic review of indirect costs. BMJ Open, 7(10), e014632.