La préparation psychologique avant une opération bariatrique
La chirurgie bariatrique s'est imposée comme une intervention majeure dans la prise en charge de l'obésité sévère, offrant une solution efficace lorsque les approches conventionnelles de perte de poids ont échoué. Cette forme de chirurgie, qui comprend diverses procédures comme le bypass gastrique, la sleeve gastrectomie ou l'anneau gastrique ajustable, vise à réduire la capacité gastrique et/ou à modifier l'absorption des nutriments, conduisant ainsi à une perte de poids significative. Cependant, si les bénéfices physiologiques de ces interventions sont largement documentés, leur succès à long terme dépend fondamentalement d'une préparation psychologique adéquate du patient[1].

La préparation psychologique avant une chirurgie bariatrique constitue un aspect crucial mais souvent sous-estimé du parcours thérapeutique. Elle représente bien plus qu'une simple évaluation de l'éligibilité psychologique du patient ; elle s'inscrit dans un processus global d'accompagnement visant à optimiser les résultats post-opératoires et à minimiser les complications psychosociales. Cette préparation permet d'identifier et d'adresser les facteurs psychologiques susceptibles d'influencer l'adhésion du patient aux recommandations médicales et son adaptation aux changements drastiques induits par l'intervention.
Les enjeux de cette préparation sont multiples et complexes. D'une part, elle vise à identifier les vulnérabilités psychologiques préexistantes qui pourraient compromettre l'efficacité de l'intervention, comme les troubles du comportement alimentaire, les troubles de l'humeur ou les attentes irréalistes. D'autre part, elle cherche à renforcer les ressources psychologiques du patient, à développer des stratégies d'adaptation efficaces et à favoriser l'acquisition de nouveaux comportements alimentaires et de style de vie. En outre, elle joue un rôle déterminant dans la prévention des complications psychosociales post-opératoires, telles que les déceptions liées aux résultats, les difficultés d'adaptation à la nouvelle image corporelle ou les transferts d'addiction[2].
Cet article propose d'explorer les différentes dimensions de la préparation psychologique préopératoire en chirurgie bariatrique. Nous examinerons d'abord les fondements et objectifs de l'évaluation psychologique, puis nous analyserons les troubles psychologiques fréquemment rencontrés chez les candidats à cette chirurgie. Nous détaillerons ensuite les diverses interventions psychologiques préopératoires et leur efficacité, avant d'aborder la préparation spécifique aux changements alimentaires et comportementaux. Enfin, nous soulignerons l'importance d'impliquer l'entourage du patient dans ce processus de préparation. À travers cette analyse, nous mettrons en lumière l'importance d'une approche multidisciplinaire et individualisée pour optimiser les bénéfices de la chirurgie bariatrique et favoriser une transformation durable du mode de vie des patients.
Évaluation psychologique préopératoire : fondements et objectifs

L'évaluation psychologique constitue la pierre angulaire de la préparation préopératoire en chirurgie bariatrique. Elle s'inscrit dans une démarche plus large d'évaluation multidisciplinaire, reconnaissant que la chirurgie bariatrique n'est pas seulement une intervention sur le corps mais également sur la psyché du patient. Son rôle dépasse largement le simple screening des contre-indications psychopathologiques ; elle représente le point de départ d'un processus thérapeutique visant à optimiser la préparation du patient et à poser les bases d'un suivi psychologique adapté[1].
Cette évaluation repose sur un ensemble de critères et d'outils diagnostiques standardisés, permettant d'objectiver l'état psychologique du patient et d'identifier ses ressources et vulnérabilités. Les entretiens cliniques semi-structurés constituent la base de cette évaluation, complétés par des questionnaires psychométriques validés tels que le Beck Depression Inventory (BDI) pour la dépression, l'Eating Disorder Examination Questionnaire (EDE-Q) pour les troubles du comportement alimentaire, ou encore le SF-36 pour la qualité de vie. Ces outils permettent de dresser un tableau complet du fonctionnement psychologique du patient, incluant ses antécédents psychiatriques, sa relation à l'alimentation, son image corporelle, ses mécanismes d'adaptation au stress et ses attentes vis-à-vis de la chirurgie[3].
L'identification des facteurs de risque psychologiques représente un objectif majeur de cette évaluation. Parmi ces facteurs, les troubles psychiatriques non stabilisés (notamment les troubles psychotiques ou bipolaires sévères), les addictions actives, les troubles du comportement alimentaire graves (comme la boulimie nerveuse) ou encore les troubles cognitifs significatifs peuvent constituer des contre-indications temporaires ou définitives à la chirurgie.
D'autres facteurs, sans représenter des contre-indications absolues, nécessitent une attention particulière : les antécédents de tentatives de suicide, les troubles de la personnalité, les compulsions alimentaires ou le grignotage émotionnel, ainsi que les attentes magiques ou irréalistes concernant les résultats de la chirurgie.
Au-delà de l'identification des psychopathologies, l'évaluation vise à déterminer la capacité du patient à s'adapter aux changements drastiques qu'implique la chirurgie bariatrique. Elle évalue notamment sa compréhension des modifications alimentaires et comportementales nécessaires, sa motivation intrinsèque au changement, ses capacités d'autorégulation émotionnelle, et son niveau de soutien social. Ces éléments sont cruciaux pour anticiper l'adaptation post-opératoire et identifier les domaines nécessitant un renforcement préopératoire.
Cette évaluation ne doit pas être conçue comme un simple filtre mais plutôt comme une opportunité d'engager le patient dans une réflexion approfondie sur sa relation à l'alimentation, à son corps et aux changements attendus. Elle permet également d'établir une alliance thérapeutique solide, essentielle pour le travail psychologique préopératoire et le suivi à long terme. Dans cette perspective, l'évaluation n'est pas une étape isolée mais le début d'un continuum thérapeutique visant à accompagner le patient tout au long de son parcours bariatrique.
En définitive, l'évaluation psychologique préopératoire en chirurgie bariatrique, loin d'être une simple formalité administrative, représente un temps fondamental d'élaboration psychique et de préparation au changement. Sa qualité et sa profondeur influencent significativement l'engagement du patient dans le processus thérapeutique et, par conséquent, les résultats à long terme de l'intervention.
Troubles psychologiques courants chez les candidats à la chirurgie bariatrique
Les candidats à la chirurgie bariatrique présentent fréquemment une prévalence élevée de troubles psychologiques, significativement supérieure à celle observée dans la population générale. Cette comorbidité psychopathologique n'est pas surprenante, compte tenu des interactions complexes entre obésité, stigmatisation sociale, altération de la qualité de vie et détresse psychologique. Une méta-analyse récente révèle que jusqu'à 60% des patients candidats à la chirurgie bariatrique souffrent ou ont souffert d'un trouble psychiatrique, les troubles de l'humeur et les troubles anxieux figurant parmi les plus fréquents[2].
Les troubles de l'humeur, particulièrement la dépression majeure, touchent environ 30 à 40% des candidats à la chirurgie bariatrique. Cette dépression s'inscrit souvent dans un contexte multifactoriel, associant prédispositions génétiques, conséquences biologiques de l'obésité (inflammation chronique, perturbations hormonales), et facteurs psychosociaux comme la stigmatisation, l'isolement social ou les échecs répétés des tentatives d'amaigrissement. Les troubles anxieux sont également surreprésentés, avec une prévalence estimée à 25-30%, incluant notamment l'anxiété généralisée, la phobie sociale et les attaques de panique. Ces troubles peuvent à la fois être une conséquence de l'obésité et un facteur contribuant à son développement et à son maintien, notamment via des mécanismes de régulation émotionnelle dysfonctionnels impliquant l'alimentation[3].
Les troubles du comportement alimentaire constituent une problématique particulièrement prégnante et complexe dans cette population. Le trouble de binge eating (hyperphagie boulimique) est retrouvé chez 15 à 30% des candidats, se caractérisant par des épisodes récurrents de consommation excessive de nourriture accompagnés d'un sentiment de perte de contrôle. Au-delà des troubles formellement diagnostiqués, de nombreux patients présentent des comportements alimentaires dysfonctionnels : alimentation émotionnelle (manger en réponse à des émotions négatives), alimentation externe (manger en réponse à des stimuli alimentaires), restriction cognitive (tentatives de limitation consciente de l'apport alimentaire) ou encore grignotage continu. Ces patterns alimentaires problématiques sont intimement liés à la régulation émotionnelle et aux mécanismes de coping face au stress.
L'image corporelle et l'estime de soi représentent un autre domaine fréquemment altéré chez ces patients. L'insatisfaction corporelle intense, la honte du corps, le sentiment d'inadéquation sociale et la diminution globale de l'estime de soi constituent des souffrances psychiques majeures, souvent aggravées par les expériences répétées de stigmatisation et de discrimination liées au poids. Cette altération de l'image corporelle peut paradoxalement générer des attentes irréalistes concernant les transformations corporelles post-chirurgicales, avec le risque de déceptions significatives malgré une perte de poids objective[4].
Ces troubles psychologiques exercent une influence considérable sur les résultats post-opératoires. Bien que leur présence ne constitue pas systématiquement une contre-indication à la chirurgie (à l'exception des psychopathologies sévères non stabilisées), ils peuvent compromettre l'adhésion aux recommandations médicales, la modification des habitudes alimentaires et l'adaptation psychosociale aux changements induits par la chirurgie. Par exemple, la dépression préopératoire non traitée est associée à une perte de poids moindre à long terme et à un risque accru de complications. Les troubles du comportement alimentaire préopératoires, particulièrement l'hyperphagie boulimique, prédisent un risque plus élevé de développer de nouveaux comportements alimentaires dysfonctionnels après la chirurgie (comme le "grazing" ou grignotage continu).
L'identification et la prise en charge de ces troubles psychologiques durant la phase préopératoire revêtent donc une importance capitale. Elles permettent non seulement d'améliorer l'état psychologique du patient avant l'intervention, mais également de mettre en place des stratégies préventives ciblées pour minimiser les risques de complications psychosociales post-opératoires et optimiser l'adaptation du patient aux multiples changements induits par la chirurgie.
Interventions psychologiques préopératoires : approches et techniques
Les interventions psychologiques préopératoires en chirurgie bariatrique s'inscrivent dans une démarche thérapeutique globale visant à optimiser l'état psychologique du patient, renforcer ses ressources adaptatives et favoriser son engagement dans le processus de changement. Ces interventions, loin d'être standardisées, doivent être personnalisées selon le profil psychologique du patient, ses besoins spécifiques et ses vulnérabilités identifiées lors de l'évaluation initiale.
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) adaptée à la chirurgie bariatrique constitue l'une des approches les plus validées empiriquement dans ce contexte. Elle cible spécifiquement les schémas de pensée dysfonctionnels concernant l'alimentation, le poids et l'image corporelle, tout en développant des compétences comportementales essentielles pour la période post-opératoire. Les protocoles de TCC préopératoire incluent généralement plusieurs composantes : restructuration cognitive des croyances erronées concernant la chirurgie et ses effets, modification des comportements alimentaires problématiques, développement de stratégies alternatives de gestion des émotions, et préparation aux changements d'image corporelle. Une méta-analyse récente a démontré que les patients ayant bénéficié d'une TCC préopératoire présentaient une meilleure adhésion aux recommandations post-chirurgicales et une diminution significative des symptômes dépressifs et anxieux à six mois post-opératoires[4].
Les groupes de soutien et la préparation collective représentent une modalité complémentaire particulièrement pertinente. Ces groupes, généralement animés par des psychologues spécialisés et parfois co-animés avec d'anciens patients "experts", offrent un espace de partage d'expériences, de normalisation des inquiétudes et d'apprentissage vicariant. Les formats sont variés : groupes psychoéducatifs focalisés sur l'information et la préparation pratique, groupes thérapeutiques abordant les dimensions émotionnelles et relationnelles de l'obésité, ou encore groupes mixtes combinant ces deux approches. Les bénéfices de cette approche groupale sont multiples : réduction du sentiment d'isolement, développement d'un réseau de soutien par les pairs, confrontation à différentes perspectives et expériences, et renforcement de la motivation au changement. L'efficacité de ces groupes préopératoires a été documentée, avec notamment une diminution de l'anxiété préopératoire et une meilleure préparation psychologique subjective[5].
Les techniques de gestion du stress et des émotions occupent une place centrale dans la préparation psychologique, compte tenu du rôle majeur des émotions négatives dans le développement et le maintien des comportements alimentaires dysfonctionnels. Diverses approches sont proposées : techniques de relaxation (relaxation progressive de Jacobson, training autogène de Schultz), méditation de pleine conscience adaptée aux comportements alimentaires (Mindful Eating), ou encore thérapie d'acceptation et d'engagement (ACT) visant à développer la flexibilité psychologique face aux émotions difficiles. Ces approches visent à remplacer l'alimentation émotionnelle par des stratégies plus adaptatives de régulation émotionnelle, tout en développant une attitude d'acceptation vis-à-vis des émotions négatives inévitables durant le parcours bariatrique.
Le travail sur les attentes et représentations de la chirurgie constitue un autre axe fondamental de la préparation psychologique. De nombreux patients nourrissent des attentes irréalistes concernant les résultats de la chirurgie, tant sur le plan pondéral (espoir d'une normalisation complète du poids) que psychosocial (attribution à la perte de poids d'un pouvoir de résolution de tous les problèmes personnels et relationnels). Ces attentes magiques, si elles ne sont pas identifiées et recadrées, peuvent générer des déceptions majeures malgré une perte de poids objective. Le travail thérapeutique vise alors à favoriser une vision réaliste des bénéfices et limites de la chirurgie, à distinguer les problématiques susceptibles d'être améliorées par la perte de poids de celles nécessitant d'autres formes d'intervention, et à préparer le patient à la variabilité interindividuelle des résultats.
Ces différentes approches psychologiques ne sont pas mutuellement exclusives mais complémentaires, pouvant être combinées selon les besoins spécifiques du patient et les ressources disponibles. L'efficacité de ces interventions repose largement sur leur intégration cohérente dans un programme multidisciplinaire global, impliquant une communication fluide entre psychologues, chirurgiens, nutritionnistes et autres professionnels de l'équipe bariatrique.
Préparation aux changements alimentaires et comportementaux
La préparation aux modifications profondes des comportements alimentaires constitue un axe fondamental de l'accompagnement préopératoire en chirurgie bariatrique. Cette préparation ne se limite pas à une simple transmission d'informations diététiques ; elle vise une véritable restructuration cognitive et comportementale de la relation à l'alimentation. En effet, les contraintes anatomiques et physiologiques imposées par la chirurgie nécessitent une adaptation radicale des habitudes alimentaires, que le patient doit intégrer non comme des restrictions temporaires mais comme un nouveau mode de vie permanent.
La restructuration des habitudes alimentaires en préopératoire représente un premier niveau d'intervention essentiel. Contrairement à certaines idées reçues, il n'est pas recommandé d'attendre l'intervention chirurgicale pour initier les changements alimentaires. L'initiation précoce de modifications comportementales (diminution des portions, fractionnement des repas, réduction des aliments hautement caloriques) permet une transition plus progressive et moins brutale vers le régime post-opératoire. Cette approche présente plusieurs avantages : elle permet d'évaluer la capacité du patient à adhérer aux changements alimentaires, facilite l'identification des obstacles potentiels, et peut contribuer à une perte de poids préopératoire associée à une diminution des complications chirurgicales. Les programmes préopératoires intègrent généralement des régimes hypocaloriques structurés, visant une perte de 5 à 10% du poids initial, souvent associés à un suivi rapproché par un diététicien spécialisé[3].
Le travail sur la perception de la faim et de la satiété constitue un aspect particulièrement délicat de cette préparation. De nombreux patients candidats à la chirurgie bariatrique présentent une altération des signaux intéroceptifs liés à l'alimentation, avec notamment une difficulté à identifier la satiété ou une tendance à confondre faim physiologique et faim émotionnelle. Les approches basées sur la pleine conscience alimentaire (Mindful Eating) se révèlent particulièrement pertinentes pour restaurer cette connexion aux sensations corporelles. Ces techniques encouragent une attention délibérée aux signaux de faim et de satiété, à l'expérience sensorielle de l'alimentation (goût, texture, odeur) et aux émotions associées à la prise alimentaire. Des études ont montré que l'intégration de ces pratiques dans la préparation préopératoire favorise une meilleure régulation des comportements alimentaires post-chirurgicaux et une diminution des épisodes de perte de contrôle alimentaire[4].
La préparation aux modifications de l'image corporelle représente un autre volet essentiel, souvent négligé, de l'accompagnement préopératoire. La perte de poids rapide induite par la chirurgie bariatrique entraîne des transformations corporelles majeures qui, bien que généralement désirées, peuvent générer des difficultés d'adaptation psychologique. Le décalage entre l'image corporelle mentale (représentation intériorisée du corps) et la réalité du corps transformé peut provoquer une sensation d'étrangeté, voire d'aliénation. Par ailleurs, la perte de poids massive s'accompagne fréquemment d'une ptose cutanée (excès de peau), source potentielle d'insatisfaction corporelle persistante malgré l'amaigrissement. La préparation psychologique vise donc à anticiper ces transformations, à développer une image corporelle plus flexible et à élaborer des attentes réalistes concernant l'apparence post-chirurgicale. Diverses techniques sont employées : visualisation guidée du corps en transformation, exposition progressive à l'image corporelle via le miroir, ou encore techniques expressives permettant d'explorer les représentations et émotions associées au corps[5].
L'anticipation des défis sociaux et relationnels post-opératoires constitue la dernière dimension majeure de cette préparation comportementale. La modification du statut pondéral entraîne souvent une reconfiguration des interactions sociales que le patient doit être préparé à gérer : attention accrue portée à l'apparence, modification du regard d'autrui, jalousie potentielle dans certaines relations, ou encore difficultés à participer à des événements sociaux centrés sur l'alimentation. La thérapie préopératoire aborde ces enjeux relationnels et aide le patient à développer des stratégies d'affirmation de soi adaptées à ces nouvelles situations sociales. Elle vise également à préparer le patient aux risques de transferts addictifs, phénomène où l'addiction alimentaire peut être remplacée par d'autres comportements compulsifs (alcool, achats compulsifs, hypersexualité), nécessitant une vigilance particulière durant la période post-opératoire.
Cette préparation aux changements alimentaires et comportementaux ne peut être dissociée de la prise en charge psychologique globale. Elle s'inscrit dans un continuum thérapeutique visant à accompagner le patient tout au long de son parcours bariatrique, depuis l'évaluation initiale jusqu'au suivi à long terme, en intégrant les dimensions nutritionnelles, psychologiques et sociales de cette transformation profonde du rapport au corps et à l'alimentation.
Implication de l'entourage dans la préparation psychologique

L'implication de l'entourage dans le processus de préparation psychologique à la chirurgie bariatrique représente une dimension essentielle mais souvent sous-exploitée du parcours thérapeutique. Cette dimension systémique de la prise en charge reconnaît que l'obésité et sa transformation chirurgicale ne concernent pas uniquement le patient mais s'inscrivent dans un réseau relationnel complexe qui sera inévitablement impacté par les changements induits par l'intervention.
Le rôle du soutien familial dans le succès à long terme de la chirurgie bariatrique est aujourd'hui bien documenté par la recherche. Les patients bénéficiant d'un soutien familial adéquat présentent une meilleure adhésion aux recommandations post-opératoires, une meilleure assiduité aux suivis médicaux et psychologiques, et ultimement une perte de poids plus importante et plus stable dans le temps. À l'inverse, un environnement familial non soutenant, voire saboteur, est associé à un risque accru de complications psychosociales et de reprise pondérale. Ce soutien s'exprime à différents niveaux : soutien émotionnel (empathie, encouragements, valorisation des progrès), soutien instrumental (aide pratique dans la préparation des repas adaptés, accompagnement aux consultations), et soutien informationnel (partage des connaissances sur les recommandations post-chirurgicales)[2].
L'éducation de l'entourage aux enjeux de la chirurgie constitue donc une composante fondamentale de la préparation préopératoire. Des sessions d'information spécifiquement destinées aux proches sont de plus en plus intégrées dans les programmes bariatriques, abordant différents aspects : mécanismes d'action de la chirurgie et ses conséquences physiologiques, modifications alimentaires nécessaires, transformations psychologiques attendues, et rôle spécifique des proches dans l'accompagnement. Ces sessions visent à déconstruire certaines idées reçues sur la chirurgie bariatrique (perçue parfois comme une "solution de facilité" ou un "dernier recours") et à sensibiliser l'entourage aux défis psychologiques complexes que représente cette transformation corporelle majeure. Elles permettent également d'aborder les attitudes potentiellement problématiques dans l'entourage : surprotection infantilisante, contrôle excessif des comportements alimentaires, ou à l'inverse, encouragements à des écarts alimentaires incompatibles avec les restrictions post-chirurgicales.
La gestion des dynamiques relationnelles susceptibles d'être modifiées par la chirurgie représente un enjeu particulièrement délicat de cette préparation familiale. L'obésité s'inscrit souvent dans des patterns relationnels spécifiques qui peuvent être profondément bouleversés par la perte de poids. Dans certains couples, par exemple, l'obésité peut avoir été inconsciemment intégrée dans l'équilibre relationnel (limitation de la rivalité, protection contre la jalousie, renforcement d'une position d'aidant chez le partenaire). La transformation corporelle induite par la chirurgie peut alors générer des tensions, voire des crises relationnelles, face auxquelles le couple doit être préparé. De même, dans les relations parent-enfant, la modification du statut pondéral peut entraîner une reconfiguration des rôles familiaux, particulièrement lorsque l'obésité était associée à une position de vulnérabilité ou de dépendance. La préparation psychologique doit donc inclure un travail d'anticipation de ces reconfigurations relationnelles et aider le système familial à développer sa flexibilité face aux changements à venir[1].
L'intégration de la famille dans le processus thérapeutique peut prendre différentes formes selon les besoins spécifiques identifiés : consultations familiales ponctuelles dans le cadre de l'évaluation préopératoire, groupes multifamiliaux réunissant plusieurs familles de patients candidats à la chirurgie, thérapie familiale systémique en cas de dysfonctionnements relationnels significatifs, ou encore médiations thérapeutiques impliquant conjointement le patient et ses proches. Dans tous les cas, l'objectif n'est pas de pathologiser les dynamiques familiales mais d'optimiser les ressources du système dans sa capacité à soutenir le changement et à s'adapter lui-même aux transformations induites par la chirurgie.
Cette approche systémique reconnaît que le succès à long terme de la chirurgie bariatrique ne dépend pas uniquement des caractéristiques individuelles du patient mais également de la qualité de son environnement relationnel. La préparation de l'entourage ne doit cependant pas se substituer au travail psychologique individuel avec le patient, mais le compléter dans une perspective intégrative reconnaissant les influences réciproques entre individu et système familial.
En définitive, l'implication de l'entourage dans la préparation psychologique à la chirurgie bariatrique représente un investissement thérapeutique particulièrement pertinent, susceptible d'optimiser non seulement les résultats pondéraux de l'intervention mais également la qualité de vie relationnelle du patient et de son système familial.
Conclusion
La préparation psychologique avant une opération bariatrique apparaît, à la lumière de cette analyse, comme une dimension fondamentale et multifacette du parcours thérapeutique des patients souffrant d'obésité sévère. Loin d'être une simple formalité procédurale, elle constitue un processus complexe visant à optimiser l'adaptation du patient aux transformations profondes induites par la chirurgie, tant sur le plan physiologique que psychosocial.
L'évaluation psychologique préopératoire représente la première étape cruciale de ce processus, permettant d'identifier les vulnérabilités et ressources du patient, tout en initiant une alliance thérapeutique essentielle pour le suivi à long terme. La haute prévalence des troubles psychologiques chez les candidats à la chirurgie – troubles de l'humeur, troubles anxieux, troubles du comportement alimentaire et altération de l'image corporelle – souligne la nécessité d'interventions psychologiques ciblées, adaptées aux besoins spécifiques de chaque patient. Ces interventions, qu'elles relèvent de la thérapie cognitivo-comportementale, des approches groupales ou des techniques de gestion émotionnelle, visent non seulement à améliorer l'état psychologique préopératoire mais également à prévenir les complications psychosociales post-chirurgicales[5].
La préparation aux changements alimentaires et comportementaux, ainsi que l'implication de l'entourage dans le processus thérapeutique, complètent ce dispositif préopératoire en abordant respectivement les dimensions comportementales et systémiques de la transformation bariatrique. Cette approche globale reconnaît que la chirurgie bariatrique ne constitue pas simplement une intervention sur l'estomac mais une restructuration profonde du rapport au corps, à l'alimentation et aux relations.
L'importance d'une approche multidisciplinaire intégrée émerge comme conclusion majeure de cette analyse. La complexité biopsychosociale de l'obésité et de sa prise en charge chirurgicale nécessite une coordination étroite entre chirurgiens, psychiatres, psychologues, nutritionnistes et autres professionnels de santé. Cette collaboration interprofessionnelle permet d'offrir un accompagnement cohérent et personnalisé, tenant compte des multiples dimensions de l'expérience bariatrique.
Les perspectives de recherche et d'amélioration des protocoles de préparation psychologique demeurent nombreuses. L'identification de marqueurs psychologiques prédictifs des résultats post-opératoires, le développement d'interventions psychologiques spécifiquement adaptées aux différents profils de patients, et l'intégration des nouvelles technologies dans l'accompagnement préopératoire (applications mobiles, téléconsultations, réalité virtuelle) représentent des axes prometteurs pour optimiser cette préparation.
En définitive, l'impact de la préparation psychologique sur le succès à long terme de la chirurgie bariatrique ne peut être sous-estimé. Elle constitue un investissement thérapeutique majeur, susceptible non seulement d'améliorer les résultats pondéraux et métaboliques de l'intervention, mais également de favoriser une transformation durable et positive de la qualité de vie des patients. En préparant le patient à devenir acteur de sa transformation, bien au-delà des seuls aspects techniques de la chirurgie, cette préparation psychologique pose les fondements d'une réussite qui se mesure non pas uniquement en kilogrammes perdus, mais en termes de bien-être physique, psychologique et social retrouvé.
Références
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- Herpertz S, Kielmann R, Wolf AM, Hebebrand J, Senf W. Do psychosocial variables predict weight loss or mental health after obesity surgery? A systematic review. Obes Res. 2004;12(10):1554-1569.
- Sogg S, Lauretti J, West-Smith L. Recommendations for the presurgical psychosocial evaluation of bariatric surgery patients. Surg Obes Relat Dis. 2016;12(4):731-749.
- Kalarchian MA, Marcus MD. Psychosocial interventions pre and post bariatric surgery. Eur Eat Disord Rev. 2015;23(6):457-462.
- Sheets CS, Peat CM, Berg KC, et al. Post-operative psychosocial predictors of outcome in bariatric surgery. Obes Surg. 2015;25(2):330-345.
