Indications pour la chirurgie bariatrique chez les adultes et les adolescents

L'obésité représente aujourd'hui l'un des défis majeurs de santé publique à l'échelle mondiale. Définie comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle pouvant nuire à la santé, elle est classiquement mesurée par l'indice de masse corporelle (IMC). Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m² définit l'obésité, tandis qu'un IMC ≥ 40 kg/m² caractérise l'obésité morbide ou sévère[1]. La prévalence de l'obésité a triplé depuis 1975, touchant aujourd'hui plus de 650 millions d'adultes dans le monde, soit environ 13% de la population adulte mondiale. Cette épidémie s'étend désormais aux adolescents, avec plus de 340 millions d'enfants et d'adolescents âgés de 5 à 19 ans en surpoids ou obèses.

Face à cette situation alarmante, la chirurgie bariatrique s'est progressivement imposée comme une option thérapeutique efficace pour les formes sévères d'obésité. Initialement considérée comme un dernier recours, elle est aujourd'hui reconnue comme l'intervention la plus efficace pour obtenir une perte de poids significative et durable chez les patients souffrant d'obésité sévère. Les techniques chirurgicales ont considérablement évolué ces dernières décennies, passant de procédures principalement restrictives (comme la gastroplastie verticale calibrée) à des interventions combinant restriction et malabsorption (comme le bypass gastrique en Y de Roux) ou des techniques plus récentes comme la gastrectomie longitudinale (sleeve gastrectomy)[2].

Parallèlement à l'évolution des techniques, les indications de la chirurgie bariatrique se sont progressivement élargies et affinées. Si les premières recommandations se basaient essentiellement sur le degré d'obésité, les critères actuels intègrent de nombreux paramètres comme la présence de comorbidités, l'âge du patient, les échecs thérapeutiques antérieurs et l'évaluation psychologique. Ce raffinement des indications reflète une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques de l'obésité et de ses complications, ainsi qu'une analyse plus précise du rapport bénéfice-risque de la chirurgie selon les profils de patients.

Cet article vise à présenter de manière exhaustive les indications actuelles de la chirurgie bariatrique, tant chez l'adulte que chez l'adolescent, en s'appuyant sur les données scientifiques récentes et les recommandations internationales. Nous aborderons les critères d'éligibilité généraux, puis les spécificités liées à l'âge et aux comorbidités, avant d'examiner les bénéfices attendus et les perspectives d'évolution de ces indications dans un contexte médical en constante évolution.

Indications pour la chirurgie bariatrique chez les adultes et les adolescents

Critères d'éligibilité généraux pour la chirurgie bariatrique

Les critères d'éligibilité à la chirurgie bariatrique ont considérablement évolué depuis les premières recommandations formulées en 1991 par les National Institutes of Health (NIH) américains. Ces critères initiaux, largement basés sur l'IMC, ont progressivement intégré une vision plus holistique du patient obèse et de sa trajectoire thérapeutique. Aujourd'hui, la plupart des sociétés savantes internationales s'accordent sur un socle commun de critères d'éligibilité, tout en reconnaissant la nécessité d'une approche personnalisée.


Le critère anthropométrique reste central dans la décision chirurgicale. La chirurgie bariatrique est généralement indiquée chez les patients présentant un IMC ≥ 40 kg/m² (obésité de grade III ou morbide), ou un IMC ≥ 35 kg/m² associé à au moins une comorbidité significative liée à l'obésité. Ces comorbidités incluent notamment le diabète de type 2, l'hypertension artérielle résistante, le syndrome d'apnées du sommeil sévère, la stéatohépatite non alcoolique, ou encore les pathologies ostéoarticulaires invalidantes[3]. L'IMC considéré doit être soit l'IMC maximal documenté, soit l'IMC actuel du patient. Cette nuance est importante car de nombreux patients ont déjà entrepris des démarches de perte de poids avant l'évaluation chirurgicale.


Au-delà de ces critères morphologiques et médicaux, l'évaluation préopératoire multidisciplinaire constitue une étape fondamentale et indispensable. Cette évaluation implique généralement un endocrinologue-nutritionniste, un chirurgien spécialisé, un psychiatre ou psychologue, un diététicien, et parfois un médecin du sport. Elle vise à évaluer la motivation du patient, ses attentes (qui doivent être réalistes), sa compréhension de la procédure et des modifications comportementales nécessaires après l'intervention, ainsi que sa capacité à adhérer au suivi postopératoire à long terme. Cette évaluation permet également de dépister d'éventuelles contre-indications et d'identifier les facteurs de risque spécifiques à chaque patient.


Les contre-indications à la chirurgie bariatrique peuvent être absolues ou relatives. Parmi les contre-indications absolues figurent les troubles psychiatriques sévères non stabilisés (psychoses, troubles bipolaires décompensés, dépression majeure active), les addictions non contrôlées (alcool, drogues), les maladies mettant en jeu le pronostic vital à court ou moyen terme, ou encore l'incapacité à comprendre la procédure et ses conséquences. Les contre-indications relatives incluent certains troubles du comportement alimentaire (comme le binge eating ou les compulsions alimentaires), l'absence de prise en charge médicale préalable, ou certaines situations sociales précaires pouvant compromettre le suivi postopératoire[2].


Un élément souvent discuté concerne l'exigence d'échec des traitements conventionnels avant d'envisager la chirurgie. Historiquement, les patients devaient démontrer plusieurs tentatives infructueuses de perte de poids par des méthodes non chirurgicales (régimes, activité physique, thérapies comportementales, médicaments) avant d'être considérés pour la chirurgie. Cette exigence s'est assouplie dans les recommandations récentes, qui reconnaissent que ces approches conventionnelles produisent rarement des résultats durables dans l'obésité sévère et que retarder la chirurgie peut diminuer ses bénéfices potentiels. Néanmoins, une période de préparation médicale et nutritionnelle préopératoire reste généralement recommandée, moins pour démontrer l'échec des approches conventionnelles que pour optimiser l'état du patient avant l'intervention et initier les changements comportementaux nécessaires[3].


Les critères d'éligibilité ont également évolué pour intégrer des considérations propres à certaines populations spécifiques, comme les patients âgés de plus de 65 ans, les patients avec un IMC entre 30 et 35 kg/m² mais présentant des comorbidités sévères (notamment le diabète de type 2), ou encore les adolescents. Ces évolutions témoignent d'une approche plus nuancée et individualisée de la décision chirurgicale, prenant en compte non seulement l'IMC mais aussi l'impact fonctionnel de l'obésité, le profil de risque cardiovasculaire, et la qualité de vie du patient.

Indications spécifiques pour les adultes

Les indications de la chirurgie bariatrique chez l'adulte se sont affinées avec l'accumulation des données scientifiques démontrant son efficacité dans différents contextes cliniques. Si les critères généraux basés sur l'IMC et les comorbidités constituent le socle des indications, plusieurs situations cliniques méritent une attention particulière.


Pour les patients présentant une obésité morbide (IMC ≥ 40 kg/m²) sans comorbidité significative, la chirurgie bariatrique est généralement indiquée après échec des mesures hygiéno-diététiques bien conduites. Cette indication repose sur le constat que ces patients présentent un risque élevé de développer des comorbidités à moyen terme et que leur espérance de vie est significativement réduite. La chirurgie permet dans cette population une perte de poids substantielle (généralement 20 à 35% du poids initial selon la technique), avec un maintien à long terme bien supérieur à celui obtenu par les approches non chirurgicales. L'étude Swedish Obese Subjects (SOS), qui a suivi pendant plus de 20 ans des patients opérés, a démontré une réduction significative de la mortalité toutes causes confondues, même chez les patients sans comorbidité initiale[4].


Chez les patients présentant une obésité de grade II (IMC entre 35 et 40 kg/m²) associée à des comorbidités, la chirurgie bariatrique prend une dimension thérapeutique supplémentaire. Le diabète de type 2 constitue probablement l'indication la mieux documentée dans cette catégorie. Plusieurs essais randomisés, dont l'étude STAMPEDE, ont démontré la supériorité de la chirurgie bariatrique sur le traitement médical optimisé pour obtenir une rémission du diabète (définie par une HbA1c < 6,5% sans traitement antidiabétique) chez ces patients. Cette efficacité a conduit plusieurs sociétés savantes, dont l'American Diabetes Association, à intégrer la chirurgie métabolique dans leurs algorithmes thérapeutiques du diabète de type 2 associé à l'obésité. D'autres comorbidités, comme l'hypertension artérielle résistante, le syndrome d'apnées du sommeil sévère, ou la stéatohépatite non alcoolique avec fibrose avancée, constituent également des indications fortes dans cette catégorie d'IMC[3].
Un cas particulier et sujet à débat concerne les patients présentant un IMC entre 30 et 35 kg/m² avec comorbidités métaboliques sévères, notamment un diabète de type 2 mal contrôlé. Si les recommandations nord-américaines et internationales récentes ouvrent la possibilité d'une chirurgie bariatrique (souvent qualifiée de "métabolique" dans ce contexte) pour ces patients, cette indication reste controversée et souvent limitée à des centres experts dans le cadre de protocoles spécifiques. Les données disponibles suggèrent néanmoins une efficacité comparable à celle observée chez les patients avec un IMC plus élevé, particulièrement pour la rémission du diabète et l'amélioration du profil cardiovasculaire.


À l'autre extrémité du spectre d'âge, les patients âgés de plus de 65 ans constituent une population croissante de candidats potentiels à la chirurgie bariatrique. Historiquement considéré comme une contre-indication relative, l'âge avancé n'est plus un obstacle absolu à la chirurgie, même si une évaluation particulièrement rigoureuse des risques et bénéfices s'impose. Les données récentes montrent que la mortalité et la morbidité périopératoires restent acceptables chez les patients bien sélectionnés, avec des bénéfices significatifs sur les comorbidités et la qualité de vie. La décision doit néanmoins intégrer l'espérance de vie, les objectifs thérapeutiques (qui peuvent être davantage centrés sur l'amélioration fonctionnelle que sur la perte de poids per se), et les capacités de récupération postopératoire du patient[5].


La place de la chirurgie bariatrique dans l'algorithme thérapeutique de l'obésité chez l'adulte s'est également précisée. Si elle était initialement considérée comme un dernier recours après échec de toutes les autres approches, elle est désormais envisagée plus précocement dans la trajectoire thérapeutique, particulièrement chez les patients présentant une obésité sévère avec comorbidités. Cette évolution reflète la reconnaissance de l'inefficacité relative des approches non chirurgicales dans l'obésité sévère et de l'intérêt d'intervenir avant l'installation de complications irréversibles ou la dégradation excessive de la qualité de vie.


Le choix de la technique chirurgicale fait également partie intégrante de la décision thérapeutique et doit être personnalisé. Si la sleeve gastrectomy et le bypass gastrique en Y de Roux constituent aujourd'hui les interventions les plus pratiquées, d'autres techniques comme la dérivation biliopancréatique avec switch duodénal peuvent être privilégiées dans certaines situations spécifiques, notamment l'obésité super-morbide (IMC > 50 kg/m²). Ce choix technique doit intégrer le profil de risque du patient, ses comorbidités, ses préférences, et l'expertise de l'équipe chirurgicale.

Indications et considérations spécifiques pour les adolescents

La chirurgie bariatrique chez l'adolescent constitue un domaine en pleine évolution, marqué par une tension constante entre la nécessité d'intervenir précocement pour prévenir les complications de l'obésité et le souci de ne pas exposer un organisme en développement à une intervention irréversible. Les indications dans cette population ont fait l'objet de recommandations spécifiques, plus restrictives que celles appliquées aux adultes, mais qui tendent progressivement à s'assouplir face à l'efficacité démontrée de la chirurgie et à la gravité croissante de l'obésité pédiatrique.


Les critères d'éligibilité chez l'adolescent reposent sur des seuils d'IMC plus élevés que chez l'adulte : un IMC ≥ 40 kg/m² (ou > 140% du 95e percentile pour l'âge), ou un IMC ≥ 35 kg/m² (ou > 120% du 95e percentile) avec au moins une comorbidité sévère liée à l'obésité. Ces comorbidités incluent notamment le diabète de type 2, l'hypertension artérielle sévère, l'apnée du sommeil modérée à sévère, la stéatohépatite non alcoolique avec fibrose significative, et certaines pathologies orthopédiques invalidantes comme l'épiphysiolyse fémorale supérieure[4]. L'âge minimal recommandé varie selon les sociétés savantes, mais se situe généralement entre 13 et 15 ans pour les filles et 15-16 ans pour les garçons, ces seuils correspondant approximativement à l'atteinte de la maturité squelettique (score de Tanner ≥ 4).


Au-delà de ces critères anthropométriques et médicaux, l'évaluation psychologique revêt une importance cruciale chez l'adolescent. Elle doit évaluer non seulement la présence d'éventuels troubles psychiatriques contre-indiquant temporairement l'intervention, mais aussi la maturité émotionnelle et cognitive du jeune, sa capacité à comprendre les implications de la chirurgie et à adhérer aux recommandations postopératoires. Cette évaluation doit également explorer les dynamiques familiales, les mécanismes d'adaptation du jeune, et l'existence de facteurs psychosociaux susceptibles d'influencer l'issue de l'intervention. La présence de troubles du comportement alimentaire, fréquents dans cette population, nécessite une attention particulière et une prise en charge spécifique préopératoire[4].


L'implication familiale constitue un élément déterminant du succès de la chirurgie bariatrique chez l'adolescent. Contrairement à l'adulte, la décision ne peut être prise par le seul patient, mais implique nécessairement les parents ou tuteurs légaux. Au-delà de l'aspect juridique du consentement, l'engagement familial est essentiel pour soutenir les changements comportementaux postopératoires, particulièrement les modifications alimentaires et l'activité physique. Idéalement, ces changements devraient concerner l'ensemble de la famille, créant un environnement propice au succès à long terme. L'évaluation préopératoire doit donc inclure une évaluation de la capacité et de la volonté de la famille à s'engager dans ce processus.


Les considérations éthiques et développementales sont également au cœur de la décision chirurgicale chez l'adolescent. La nature partiellement irréversible de certaines procédures, les modifications anatomiques et physiologiques induites, et leurs conséquences potentielles sur la croissance, la nutrition, la fertilité et le développement psychosocial suscitent des interrogations légitimes. Ces préoccupations ont conduit certains pays à restreindre fortement l'accès à la chirurgie bariatrique pour les mineurs, malgré les données scientifiques supportant son efficacité. Un équilibre doit être trouvé entre le respect de l'autonomie du jeune (qui évolue avec l'âge), le principe de bienfaisance (agir dans son meilleur intérêt), et la prudence face aux incertitudes à très long terme[5].


Les données disponibles sur l'efficacité et la sécurité de la chirurgie bariatrique chez l'adolescent, bien que moins nombreuses que chez l'adulte, sont encourageantes. L'étude Teen-LABS (Teen-Longitudinal Assessment of Bariatric Surgery), la plus large cohorte prospective d'adolescents opérés, a démontré des résultats comparables à ceux observés chez les adultes en termes de perte de poids et d'amélioration des comorbidités, avec un profil de sécurité acceptable. Certaines études suggèrent même que la rémission de comorbidités comme le diabète de type 2 pourrait être plus fréquente et plus durable lorsque la chirurgie est réalisée à l'adolescence plutôt qu'à l'âge adulte, probablement en raison d'une durée d'évolution plus courte de la maladie.


Concernant les techniques chirurgicales, la sleeve gastrectomy est devenue l'intervention prédominante chez l'adolescent, supplantant le bypass gastrique en raison de sa relative simplicité, de son caractère moins malabsorptif, et de son profil nutritionnel plus favorable à long terme. Le bypass gastrique reste néanmoins indiqué dans certaines situations spécifiques, notamment chez les adolescents présentant un diabète de type 2 sévère ou un reflux gastro-œsophagien significatif. Les procédures malabsorptives plus complexes, comme la dérivation biliopancréatique, sont généralement contre-indiquées dans cette population en raison de leurs conséquences nutritionnelles potentiellement délétères.

Bénéfices attendus et résultats à long terme

L'évaluation des bénéfices de la chirurgie bariatrique, élément central de la décision d'opérer, repose sur un corpus croissant de données à long terme, particulièrement chez l'adulte. Ces bénéfices s'articulent autour de quatre dimensions principales : la perte de poids et son maintien, l'amélioration ou la résolution des comorbidités, l'impact sur la qualité de vie, et finalement l'effet sur la mortalité.


La perte de poids constitue l'effet le plus visible et le plus immédiat de la chirurgie bariatrique. Son ampleur varie selon la technique utilisée, le profil initial du patient, et la durée de suivi. En moyenne, la perte de poids à 1-2 ans atteint 20 à 35% du poids initial (soit 60 à 70% de l'excès de poids) après bypass gastrique, 15 à 25% (soit 50 à 60% de l'excès de poids) après sleeve gastrectomy, et peut dépasser 35% (soit 70 à 80% de l'excès de poids) après dérivation biliopancréatique. Si une reprise pondérale modérée est fréquemment observée après 2-3 ans, la plupart des études à long terme, dont la cohorte SOS suivie pendant plus de 20 ans, démontrent un maintien de 50 à 60% de la perte de poids initiale à 10-15 ans, résultat sans équivalent dans les approches non chirurgicales de l'obésité sévère[4].


L'amélioration ou la résolution des comorbidités représente probablement le bénéfice le plus significatif sur le plan médical. Le diabète de type 2 illustre particulièrement bien cette efficacité : après bypass gastrique, 60 à 80% des patients diabétiques connaissent une rémission complète (glycémie normale sans traitement antidiabétique) dans les deux premières années postopératoires, avec un taux de maintien de cette rémission d'environ 50% à 5 ans. Même chez les patients ne connaissant pas de rémission complète, le contrôle glycémique est généralement amélioré, permettant une réduction significative des traitements. Des bénéfices comparables sont observés pour l'hypertension artérielle (résolution ou amélioration dans 60 à 70% des cas), les dyslipidémies (amélioration dans 70 à 80% des cas), et le syndrome d'apnées du sommeil (résolution ou réduction significative dans 80 à 85% des cas). La stéatohépatite non alcoolique connaît également une amélioration histologique significative dans 65 à 90% des cas, avec régression possible de la fibrose hépatique. Ces effets s'observent souvent précocement après la chirurgie, avant même une perte de poids substantielle, suggérant des mécanismes indépendants de la restriction calorique, notamment des modifications hormonales et métaboliques[3].


L'impact sur la qualité de vie constitue un bénéfice majeur mais plus difficile à quantifier objectivement. Les études utilisant des questionnaires validés de qualité de vie montrent généralement une amélioration significative dans les domaines physique, psychologique et social après chirurgie bariatrique, avec un pic d'amélioration vers 1-2 ans, suivi d'une stabilisation ou d'une légère diminution parallèle à l'éventuelle reprise pondérale. La mobilité, l'autonomie dans les activités quotidiennes, la perception de l'image corporelle, et l'estime de soi sont particulièrement améliorées. La santé mentale connaît généralement une évolution favorable, avec réduction des symptômes dépressifs et anxieux chez de nombreux patients. Néanmoins, cette amélioration n'est pas universelle, et certains patients peuvent développer des difficultés psychologiques spécifiques en postopératoire, notamment en lien avec les modifications corporelles rapides, les changements dans les relations interpersonnelles, ou les contraintes alimentaires[5].


L'effet sur la mortalité représente l'argument le plus puissant en faveur de la chirurgie bariatrique. L'étude SOS a démontré une réduction de la mortalité toutes causes confondues de 24% à 20 ans chez les patients opérés par rapport aux patients obèses non opérés, avec une réduction particulièrement marquée de la mortalité cardiovasculaire (-53%) et de la mortalité liée au cancer (-60% pour certains types de cancers liés à l'obésité). Ces résultats ont été confirmés par plusieurs études de cohorte à grande échelle et méta-analyses. L'ampleur de cet effet sur la mortalité semble d'autant plus importante que la chirurgie est réalisée chez des patients jeunes présentant des facteurs de risque cardiovasculaire significatifs[4].


Le rapport bénéfice-risque de la chirurgie bariatrique varie selon les populations concernées. Chez l'adulte de moins de 60 ans avec obésité sévère et comorbidités, ce rapport est clairement favorable, avec une mortalité périopératoire inférieure à 0,1-0,3% dans les centres experts, et une morbidité sévère inférieure à 5%. Ce rapport reste favorable, bien que moins marqué, chez les patients âgés ou chez les patients super-obèses (IMC > 50 kg/m²), qui présentent des risques périopératoires plus élevés mais également des bénéfices potentiels plus importants. Chez l'adolescent, les données suggèrent un excellent rapport bénéfice-risque à court et moyen terme, mais les conséquences à très long terme (> 20 ans) restent partiellement inconnues, notamment concernant la fertilité, la grossesse, et le développement psychosocial.


Les complications spécifiques à long terme, notamment nutritionnelles, doivent être intégrées dans cette balance bénéfice-risque. Les carences en micronutriments (fer, vitamine B12, vitamine D, calcium) sont fréquentes après chirurgie bariatrique, particulièrement après les procédures malabsorptives, et nécessitent une supplémentation à vie et un suivi biologique régulier. D'autres complications spécifiques, comme les lithiases biliaires, les ulcères anastomotiques, ou les hernies internes après bypass, sont également à considérer dans l'évaluation globale des résultats à long terme.
 

Défis actuels et perspectives d'avenir

Le champ de la chirurgie bariatrique, malgré son efficacité démontrée, reste confronté à de nombreux défis qui façonnent l'évolution des indications chirurgicales et stimulent l'innovation. Ces défis s'articulent autour de controverses persistantes, de l'émergence de nouvelles approches techniques, du développement de thérapies combinées, et de besoins importants en matière de recherche.


Plusieurs controverses persistent concernant les indications actuelles de la chirurgie bariatrique. L'extension des indications aux patients présentant un IMC entre 30 et 35 kg/m² avec comorbidités métaboliques sévères demeure débattue, malgré des données suggérant une efficacité comparable à celle observée chez les patients avec un IMC plus élevé. Cette controverse reflète une tension entre l'approche traditionnelle basée sur l'IMC et une vision plus fonctionnelle et métabolique de l'obésité. De même, l'indication de la chirurgie chez les adolescents continue de susciter des réticences dans certains pays, malgré les résultats encourageants des études récentes. Plus fondamentalement, la question du moment optimal pour la chirurgie dans la trajectoire thérapeutique du patient obèse reste ouverte : faut-il l'envisager précocement, avant l'installation de complications irréversibles, ou la réserver aux situations d'échec avéré des approches non chirurgicales[3] ?


Ces controverses sont alimentées par une compréhension encore imparfaite des mécanismes d'action de la chirurgie bariatrique, particulièrement concernant ses effets métaboliques indépendants de la perte de poids. L'identification de facteurs prédictifs de succès ou d'échec reste également limitée, compliquant la sélection optimale des patients et la personnalisation des indications. La variabilité interindividuelle des réponses à la chirurgie, tant en termes de perte de poids que d'amélioration des comorbidités, suggère l'existence de facteurs génétiques, métaboliques ou microbiotiques dont la caractérisation pourrait affiner considérablement les indications futures.


L'évolution des techniques chirurgicales constitue un autre moteur d'évolution des indications. Si la sleeve gastrectomy et le bypass gastrique en Y de Roux dominent actuellement la pratique, de nouvelles approches émergent régulièrement. Le développement de techniques moins invasives comme le bypass gastrique en omega (mini-bypass) ou la gastroplastie endoscopique pourrait élargir les indications en réduisant les risques opératoires. Parallèlement, l'essor des techniques endoscopiques (pose de ballons intragastriques, gastroplastie endoscopique, systèmes d'aspiration) crée un continuum entre les approches médicales et chirurgicales traditionnelles, ouvrant la possibilité d'une gradation plus fine des interventions selon le profil de risque du patient[2].


Le rôle émergent des thérapies combinées constitue une autre perspective prometteuse. L'association de la chirurgie bariatrique avec les nouveaux médicaments anti-obésité de la classe des analogues du GLP-1 (comme le sémaglutide ou le tirzépatide) offre des possibilités intéressantes, tant en préopératoire pour réduire les risques chirurgicaux chez les patients super-obèses, qu'en postopératoire pour optimiser les résultats ou traiter une reprise pondérale. De même, l'intégration plus systématique de programmes structurés d'activité physique et de thérapies comportementales en complément de la chirurgie pourrait améliorer les résultats à long terme et potentiellement élargir les indications à des patients auparavant considérés comme à haut risque d'échec[5].


Les besoins futurs en matière de recherche sont considérables pour affiner davantage les indications de la chirurgie bariatrique. Des études randomisées à long terme comparant différentes stratégies thérapeutiques, incluant les nouvelles options pharmacologiques, sont nécessaires pour déterminer les algorithmes optimaux selon les profils de patients. Une meilleure caractérisation des phénotypes d'obésité, intégrant des biomarqueurs génétiques, métaboliques et inflammatoires, pourrait permettre une médecine de précision dans ce domaine. Chez l'adolescent, des études longitudinales sur plusieurs décennies sont indispensables pour évaluer pleinement les conséquences à très long terme de la chirurgie, notamment sur la fertilité, la grossesse, et le développement psychosocial.


L'accès aux soins constitue un autre défi majeur. Malgré l'efficacité démontrée de la chirurgie bariatrique, son accès reste limité dans de nombreux pays, en raison de contraintes financières, organisationnelles, ou de résistances culturelles et professionnelles. Ces limitations d'accès exacerbent les inégalités sociales face à l'obésité, les populations les plus défavorisées étant souvent les plus touchées par l'obésité sévère mais les moins susceptibles d'accéder à la chirurgie. L'élaboration de politiques de santé publique intégrant pleinement la chirurgie bariatrique dans la stratégie globale de lutte contre l'obésité constitue un enjeu crucial pour les années à venir.


L'évolution des guidelines internationales reflète ces défis et perspectives. Si les critères d'éligibilité se sont globalement assouplis ces dernières années, reconnaissant davantage le caractère chronique et progressif de l'obésité et la nécessité d'interventions précoces, des divergences persistent entre les différentes sociétés savantes, notamment concernant les indications chez les patients avec IMC entre 30 et 35 kg/m² ou chez les adolescents. Ces divergences reflètent des différences culturelles et des systèmes de santé variables, mais aussi les incertitudes scientifiques persistantes dans certains domaines.


Dans ce contexte évolutif, le concept de décision partagée entre le patient et l'équipe soignante prend une importance cruciale. Au-delà des critères formels d'éligibilité, cette décision doit intégrer les préférences et valeurs du patient, ses attentes (qui doivent être réalistes), sa compréhension des bénéfices et risques, et sa capacité à adhérer au suivi postopératoire. Cette approche personnalisée, au cœur des recommandations récentes, reconnaît que les indications de la chirurgie bariatrique ne peuvent se réduire à des critères anthropométriques ou médicaux stricts, mais doivent s'inscrire dans une vision holistique du patient et de sa trajectoire de vie.

Conclusion

Les indications de la chirurgie bariatrique ont considérablement évolué depuis les premières recommandations formelles des années 1990, reflétant à la fois l'accumulation de données scientifiques robustes et une meilleure compréhension de la complexité de l'obésité comme maladie chronique. Si les critères basés sur l'IMC et les comorbidités demeurent le socle des indications, tant chez l'adulte que chez l'adolescent, une approche plus nuancée et personnalisée s'impose désormais, prenant en compte de multiples dimensions biologiques, psychologiques et sociales.


Chez l'adulte, la chirurgie bariatrique s'est progressivement imposée comme une option thérapeutique de première ligne dans l'obésité sévère (IMC ≥ 40 kg/m²) ou modérée (IMC ≥ 35 kg/m²) avec comorbidités. Son efficacité sur la perte de poids, l'amélioration ou la résolution des comorbidités, la qualité de vie et la mortalité est solidement établie, avec un profil de sécurité acceptable dans les centres experts. L'extension des indications aux patients présentant un IMC entre 30 et 35 kg/m² avec diabète de type 2 mal contrôlé ou autre comorbidité sévère progresse, mais reste variable selon les pays et les systèmes de santé. De même, la chirurgie chez le patient âgé n'est plus systématiquement contre-indiquée, mais nécessite une évaluation particulièrement rigoureuse de la balance bénéfice-risque et des objectifs thérapeutiques.


Chez l'adolescent, malgré des réticences persistantes, les indications s'affinent progressivement, reconnaissant l'importance d'intervenir précocement pour prévenir les complications à long terme d'une obésité sévère débutant dans l'enfance. Les critères d'éligibilité restent plus stricts que chez l'adulte, avec une attention particulière portée à la maturité physiologique et psychologique, et à l'environnement familial. Les résultats à moyen terme sont encourageants, mais des incertitudes persistent concernant les conséquences à très long terme, nécessitant la poursuite d'études longitudinales sur plusieurs décennies.


L'approche multidisciplinaire de l'évaluation préopératoire et du suivi postopératoire demeure un élément central et indispensable, quelle que soit la population concernée. Cette approche, impliquant chirurgien, endocrinologue-nutritionniste, psychiatre ou psychologue, diététicien, et autres spécialistes selon les besoins, vise à optimiser la sélection des patients, à préparer au mieux l'intervention, et à assurer un suivi adapté sur le long terme, prévenant ou traitant précocement les complications potentielles.


Les perspectives d'évolution des indications sont étroitement liées aux avancées techniques et scientifiques dans le domaine. L'émergence de techniques moins invasives, le développement de thérapies combinées associant chirurgie et nouveaux médicaments anti-obésité, et une meilleure caractérisation des phénotypes d'obésité devraient permettre un raffinement continu des indications, tendant vers une médecine de précision. Parallèlement, des défis majeurs persistent concernant l'accès équitable à ces thérapies efficaces et leur intégration dans une stratégie globale et cohérente de prise en charge de l'obésité.


En définitive, si la chirurgie bariatrique constitue aujourd'hui une option thérapeutique majeure dans la prise en charge de l'obésité sévère, ses indications ne peuvent se réduire à des critères anthropométriques ou médicaux stricts. Elles doivent s'inscrire dans une décision partagée entre le patient et l'équipe soignante, intégrant de multiples dimensions biologiques, psychologiques et sociales, et reconnaissant le caractère chronique et complexe de l'obésité comme maladie nécessitant une prise en charge globale et à long terme.

Références

  1. World Health Organization. Obesity and overweight. [En ligne]. Disponible sur: https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight [Consulté le 15 février 2025].
  2. Sjöström L. Review of the key results from the Swedish Obese Subjects (SOS) trial - a prospective controlled intervention study of bariatric surgery. J Intern Med. 2013;273(3):219-234. https://doi.org/10.1111/joim.12012
  3. Rubino F, Nathan DM, Eckel RH, et al. Metabolic Surgery in the Treatment Algorithm for Type 2 Diabetes: A Joint Statement by International Diabetes Organizations. Diabetes Care. 2016;39(6):861-877. https://doi.org/10.2337/dc16-0236
  4. Inge TH, Courcoulas AP, Jenkins TM, et al. Five-Year Outcomes of Gastric Bypass in Adolescents as Compared with Adults. N Engl J Med. 2019;380(22):2136-2145. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1813909
  5. Aminian A, Brethauer SA, Kirwan JP, Kashyap SR, Burguera B, Schauer PR. How safe is metabolic/diabetes surgery? Diabetes Obes Metab. 2015;17(2):198-201. https://doi.org/10.1111/dom.12405

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